
Molières 2014 : oui, la télé peut porter les couleurs du théâtre !
Vous avez bien lu : la nouvelle équipe des récompenses du théâtre français n’a plus essayé de « montrer du théâtre à la télé ». Elle a proposé un vrai programme télévisuel, rythmé et minuté. A la fois drôle, plein d’esprit – merci Nicolas Bedos – et rempli de scénettes de qualité, donnant un bon aperçu du privé comme du public.
On en avait eu une belle, de cérémonie, pour les Molières en 2011. Le carton de Michel Fau chantant Carla Bruni ; un Laurent Laffite électrique comme présentateur… Pierre Lescure, président, et l’équipe d’organisation avaient fait leur travail, en optant pour le faste et l’humour. Destinés à effacer des années précédentes trop sérieuses ou crispées, car souvent minées par des mésententes. Théâtre public et privé ne s’accordant pas facilement, figurez-vous en plus la direction de l’association des Molières râlant contre le comité organisateur de la cérémonie…
En cette année 2014, sous la présidence de Jean-Marc Dumontet, homme fort du théâtre privé parisien, qu’a-t-on eu ? Du faste, de l’humour et de la télé. Et oui, de la télé. Mais de la bonne. Celle qui vous fait passer un excellent moment culturel. Deux heures et quart de cérémonie ? parfait, pas trop long. Un temps de remerciements limité à une minute ? (sous peine d’ « égorgement de chats » !) génial, on acquiert la rigueur et le rythme des Oscars américains. Florence Foresti qui passe ? certes, mais pour déclamer du Jean Racine au cours d’un numéro burlesque réussi. Et Nicolas Bedos en maître de cérémonie ? un festival de blagues assassines, voyons ! considérations sur l’audimat, distinctions entre stars sur les planches et « vrais » acteurs de théâtre… Et puis, des claquettes, du chant… Rien n’est tombé à plat. (Merci au passage à ses co-auteurs, Christophe Duthuron et Alexis Trégarot.)
Efficacité télévisuelle donc. Mais celle-ci a su laisser la place aux talents et à la qualité. De splendides scènes nous ont été proposées par Julie Ferrier (en créatrice de costumes), Myriam Boyer, par notre femme favorite Michel Fau, par Elsa Zylberstein et Yvan Attal (en chantres de l’humour), par Guillaume Gallienne, et par un mystérieux vieux bonhomme du nom de Jules Guérin-Myssek, dont on espère qu’il va tourner sur le net… Sans oublier un sombre hommage à Patrice Chéreau, au son de son journal, lu par Dominique Blanc, Clément Hervieu-Léger, Philippe Calvario et Myriam Boyer. Des scènes courtes, drôles ou émouvantes : l’ingrédient parfait.
Quant aux prix… Carton pour la jeunesse, avec Alexis Michalik qui repart avec trois Molières pour Le Cercle des illusionnistes (Meilleur Metteur en scène, Dramaturge, et Meilleur espoir pour Jeanne Arènes), et Jean Bellorini (Meilleur metteur en scène et Meilleur spectacle du théâtre public) ; pour les acteurs de théâtre purs et durs : Meilleure comédienne de théâtre public à Valérie Dréville pour Les Revenants, Meilleur second rôle à Isabelle Sadoyan pour L’Origine du monde… Et puis Grégori Baquet, sacré Meilleur espoir après 27 ans de carrière, pour Un obus dans le coeur… Et puis les interprètes de James Thierrée (Molière de la création visuelle pour Tabac rouge) qui remercient en gestes et en souffle et s’en vont… Et puis Sébastien Azzopardi (Molière de la comédie pour Derniers coups de ciseaux) qui commence son nouveau spectacle dans moins d’une semaine… Et puis Le Père (trois Molières en tout), Isabelle Gélinas (Meilleure comédienne du privé), et Robert Hirsch, encore et encore… Et puis Davy Sardou (Meilleur second rôle), Samuel Achache et Florent Hubert (Molière du Théâtre musical) et Philippe Torreton (Meilleur comédien du théâtre public)… Et puis Jean Dujardin, qui passe, n’a rien, n’était même pas nominé, s’en va… c’était un sketch… Et puis, tout de même, un mot brûlant pour le statut des intermittents, bientôt revu. Dit avec force par Nicolas Bouchaud. Oui, sur France 2, on l’affirme, le théâtre était là hier soir. Heureux qu’il vienne nous visiter : on ira à lui.
Visuels : © Les Molières
Affiche de Paroles gelées, mise en scène de Jean Bellorini © Théâtre du Rond-Point