Théâtre
L’émotion prime au nouveau Misanthrope du Français

L’émotion prime au nouveau Misanthrope du Français

22 April 2014 | PAR Christophe Candoni

Un nouveau Misanthrope paraît à la Comédie-Française en la personne d’un de ses plus talentueux sociétaires : Loïc Corbery campe un Alceste jeune, vif, impétueux, ombragé sous la direction de Clément Hervieu-Léger qui livre une version transposée et crépusculaire du classique de Molière empli autant de fougue que de tristesse. Même avec ses défauts, à commencer par son extrême longueur, la pièce fait primer sincérité et émotion.

Les Molière se suivent et se ressemblent à Paris… Après le Tartuffe de Luc Bondy, voici le Misanthrope de Clément Hervieu-Léger ; deux mises en scène qui partagent un regard aigu et profond sur des textes de répertoire, une même façon d’en assombrir le propos, le même effort salutaire d’actualisation non appuyée et tout à fait convaincant, mais aussi une même lenteur languissante et la même sagesse parfois regrettable qui tendent à polir la représentation. Incomparable aux géniales revisites radicalement trashs et explosives de Molière par Ivo van Hove mais se situant au plus loin du superficiel et ringard Misanthrope de Michel Fau néobaroque-kitsch-vulgaire qui n’apporte pas le moindre regard sur la pièce, la mise en scène de Clément Hervieu-Léger est moins ostentatoire. Pourtant, à sa manière, elle déborde d’intentions, a plein de choses à dire et à réinventer.

A la Comédie-Française, Alceste joue dans des décors et costumes contemporains. Eric Ruf, comme Richard Peduzzi aux Ateliers Berthier, plante Molière dans un cadre bourgeois, non pas la salle de séjour d’une maison aisée mais dans l’étage intermédiaire d’un ancien hôtel particulier aux murs blancs décrépis comme peints à la chaux. Cette grande bâtisse donne à Molière un aspect tchekhovien bien révélateur de la tonalité mélancolique dominante du spectacle. Comme chez Bondy, une domesticité importante s’agite, des serviteurs mettent et défont la table, reçoivent le monde à l’heure de la soupe. Tout cela n’est pas nécessaire et confère à la représentation quelque chose d’un peu trop lourd et confortablement installé.

En revanche, ce Misanthrope déborde de qualités d’interprétation. Florence Viala, Serge Bagdassarian sont de luxueux seconds rôles. Dommage que la scène des petits marquis tombe à plat ou qu’Eliante et Philinte (Eric Ruf et Adeline d’Hermy) paraissent assez ternes en bcbg coincés. Le couple central que forment Alceste et Célimène à la fois fragiles et entiers brûle les planches. Loïc Corbery est autant un gamin boudeur qu’un dépressif profond. Il déploie une riche palette qui va de la mélancolie intériorisée à l’explosion nerveuse irrépressible, il est obstiné, écorché, torturé face à la Célimène délicate et si singulière de Giorgia Scalliet qui n’a rien d’une coquette mais paraît presque irréprochable en petite femme d’intérieur douce et affable avec son personnel, bourrée de bonnes manières, simplement gaie et sautillante, juste un peu trop médisante. Ils sont beaux, jeunes, passionnés, déchirants et ils s’aiment plus que jamais.

C’est la singularité de cette version du Misanthrope qui se focalise sur les sentiments irrésistiblement forts et contrariés des héros. Lui fond littéralement à chacune de ses apparitions et elle en retour. A la fin, un serviteur inconséquent reprend au piano la triste mélopée que jouait l’atrabilaire Alceste pour calmer ses nerfs sur un vieux piano planté là tout au long du spectacle, et voici Célimène accourir en toute hâte pensant que son lunatique amoureux fermement décidé à quitter la place serait raisonnablement revenu sur ses pas… Tout est dit de l’amour infaillible qu’elle lui jure depuis le début. C’est cette belle sensibilité qui fait le charme et le supplément d’âme du spectacle de Clément Hervieu-Léger où l’ émotion l’emporte.

©Brigitte Enguérand / collection Comédie-Française

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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