La culture face à la guerre actuelle au Proche-Orient
Depuis plusieurs semaines, la Bande de Gaza est théâtre d’une guerre sanglante. Cette véritable impasse diplomatique entre Palestiniens et Israéliens déclenche un conflit plus meurtrier encore que la dernière opération terrestre de Tsahal sur le territoire palestinien en hiver 2008-2009. A ce jour, on compterait plus de 587 victimes palestiniennes, 29 israéliennes, selon les différentes sources. Les terribles images diffusées et la souffrance des civils à Gaza, touchent les artistes qui ressentent le besoin, en tant que figures publiques, de s’exprimer sur le sujet. De quel manière et par quel biais ?
De nombreux artistes font preuve de sympathie, la situation à Gaza les marque particulièrement sur le plan personnel et n’hésitent pas à en faire part. Au premier niveau de l’engagement, ils expriment simplement en public un ressenti personnel.
Dans une interview accordée au Dailybeast que vous pouvez lire dans son intégralité ici. Woody Allen, nuance ses propos. « La situation à Gaza est terrible, tragique. Des vies innocentes sont prises de chaque côté […] »
En rappelant la tragédie et l’extermination juive sous Hitler, il ajoute : « Si les Arabes avaient juste dit, ‘Ecoutez, on sait ce que vous avez vécu, prenez ce petit morceau de terre, on sera tous amis, et on s’aidera tous’ et les Juifs venus en paix, mais ça n’arriva pas […]”
Le réalisateur de Blue Jasmine a ensuite conclu en disant : « Il y a eu des erreurs publiques, des erreurs actuelles, et cela a été un terrible, terrible cercle de mauvaises décisions, et de mauvaise foi. »
Avec beaucoup de pudeur, Selena Gomez, chrétienne pratiquante a posté un message « priez pour Gaza » samedi. Evidemment, colère et soutien de ses fans s’ensuivent. « S’il-vous-plaît, priez pour ces familles et bébés aujourd’hui. S’il vous plaît, souvenez-vous de ce qui est important dans la vie. Nous sommes ici pour aider, inspirer et aimer. Soyez ce changement #wearethenextegeneration [#noussommeslaprochainegénération] » a-t-elle écrit.
Un fan israélien (gil_magen) lui a notamment répondu « vous n’avez pas entendu parler des roquettes qui ont été lancées sur Israël de Gaza avant la guerre parce que vous ne vivez pas en Israël ! ». La jeune actrice, pour éviter toute prise de position a tweeté un peu plus tard : « Et bien sûr pour être claire, je ne choisis pas un camp. Je prie pour la paix et l’humanité pour tous ! ».
L’opération militaire israélienne à Gaza choque également de nombreux rappeurs, français notamment, qui n’hésitent pas à se livrer de véritables joutes verbales par le biais des réseaux sociaux, clamant ainsi leur position face à ce conflit.
Elie Yaffa, plus connu sous le nom de Booba, B2O, B2OBA etc. s’est attiré les foudres des internautes, tout comme de ses fans, suite à son message sur le conflit israélo-palestinien. « Tous ceux qui croient aider la Palestine avec des posts instagram Facebook etc vous faites vraiment pitié bandes d’hypocrites. Pas d’politique ici. Si vous voulez aider allez sur le terrain bandes de truffes ou sinon fermez la à jamais !!! ». De mère juive marocaine qui se revendique musulmane, Booba s’est toujours voulu neutre. Sa neutralité est perçue comme de l’hypocrisie par les autres rappeurs français.
Son coup de gueule a suscité quelques réactions, notamment celle du rappeur Kennedy du 94 qui répond au Duc de Boulogne (rappeur du 92), via un message posté sur Instagram, Facebook et Twitter. « Les gens soutiennent Gaza sur les réseaux sociaux car c’est aussi une guerre médiatique à défaut d’aller sur le terrain… par contre toi va faire ton tête à tête sur le terrain avec l’autre au lieu de parler sur les réseaux sociaux…et au passage ferme la !! #helpgaza ». Soutenu par de nombreux internautes, le rappeur a tout de même supprimé son message en s’expliquant : « je supprime mon statut parce que ça excite les voyous du net mais franchement je soutiens Gaza et ça fait pas de moi un hypocrite ».
Le meilleur ennemi de Booba, Rohff s’est aussi exprimé via son compte Facebook. Le rappeur de Vitry a néanmoins eu une réaction respectable, apportant son soutien aux habitants de Gaza. Il appelle ses fans à faire des dons à l’association BarakaCity. « En ce mois Béni de Ramadan, faisons un geste de croyant ou d’humanité en soutien aux victimes de Gaza ! »
Le rappeur Kamelanc’, connu sous le nom de Kamelancien a réagi de son côté à ce conflit sur Facebook, profitant du réseau social pour pousser une gueulante des plus élégantes visant les artistes : « Honte aux artistes qui ne prennent pas parti par peur pour leur carrière, honte à vous! On va tous mourir bandes de tafioles ! Honte aux artistes rap français qui ne prennent pas parti par peur de perdre leurs contrats, honte à vous, honte aux sionistes, honte à Israël. Sionisme démasqué par le peuple couvert par les médias. On continue, on lâche pas. Toujours et encore le minimum que l’on puisse faire : boycott, invocations, dons, etc… Vive le peuple palestinien choisi par Allah pour être le peuple des martyrs.?#?Gaza ?#?Palestine ?#?FreePalestine ?#?sionismebeurkh ?#?PalestineLibre »
En continuant sur les rappeurs, voici les tweets de certains. Respectivement Niro, Soprano et Tunisiano.
J’ai juste envie de gerber Quand je vois qu’il soutien le génocide du peuple Palestinien.. Honte à lui et à ceux qui l’ont mis là. #HelpGaza
— #MiraculéDansLesBacs (@officielniro) 11 Juillet 2014
#gaza ;-( #larage #maximumdedouran
— Soprano (@Sopranopsy4) 9 Juillet 2014
Qui pourra me dire le contraire #freepalestine #lahagrasubventionné http://t.co/7tAm7yJTfK
— TUNISSAN (@TuniSniper) 8 Juillet 2014
Les artistes s’engagent aussi d’une autre manière,plus approfondie et plus collective, par des pétitions et des déclarations, pour lutter contre cette guerre.
Ce conflit impacte artistes et intellectuels bien évidemment, comme toute personne qui suit l’actualité dans le monde. Ils ont décidé de se mobiliser. Vendredi, 67 personnalités ont signé une lettre ouverte dans le Guardian, jugeant l’attaque militaire d’Israël « inhumaine ». Ces atrocités sont commises avec « la complicité des gouvernements du monde entier », « en important et exportant des armes et en facilitant le développement de la technologie militaire d’Israël ». Selon la journaliste canadienne Naomi Klein, auteure de la Stratégie du choc, récompensé du Prix Warwick, les Etats-Unis verseraient chaque année 3 milliards de dollars à Israël, les fournissant également en armes.
Ainsi, les signataires de cette lettre réclament « un embargo sur les armes ». On trouve les signatures des réalisateurs Aki Kaurismaki, Ken Loach, le philosophe Etienne Balibar, les musiciens Brian Eno et Boots Riley, et bien d’autres, comme trois prix Nobel de la paix : Desmond Tutu, Betty Williams, Rigoberta Menchù.
Touchés directement par les événements en plein festival de Jérusalem (il s’est fini le 20 juillet) huit cinéastes engagés ont appelé à un cessez-le-feu, critiquant l’action militaire de leur gouvernement. Ils appellent « les caméras » à filmer les souffrances des Palestiniens.
Efrat Corem, Shira Geffen, Ronit et Shlomi Elkabetz, Keren Yeday, Tali Shalom Ezer, Nadav Lapid et Bozi Gete écrivent : « Nous (…) croyons que par ces temps violents, il est impossible de parler seulement de cinéma tout en ignorant les tueries et les événements effroyables autour de nous ». Ils ajoutent : « Les enfants de Gaza ne bénéficient pas de la protection des systèmes du Dôme de fer. Ils n’ont pas d’espaces de résidence sécurisés, ni de sirènes. Les enfants qui vivent à Gaza aujourd’hui sont nos partenaires pour la paix de demain. La tuerie et l’horreur que nous infligeons ne font que repousser plus loin toute solution diplomatique ».
Tandis que l’artiste palestinien Khaled Jarrar a été empêché de quitter la Cisjordanie, alors qu’il devait se rendre à New York pour une exposition dans laquelle était diffusé son documentaire Infiltrators, prévu en salles en 2015, d’autres annulent et boycottent les concerts. Des conséquences qui vont de pair avec la situation désastreuse au Proche Orient.
Avec ce conflit omniprésent dans la bande de Gaza, les artistes se font frileux à l’idée de se rendre à Jérusalem. Des annulations en boucles, Paul Anka, Stanley Clarke, Chick Korea et maintenant les Backstreet Boys.
Le boysband américain Backstreet Boys devait réaliser un concert en Israël, sur trois jours, les 29, 30 et 31 juillet. Compte tenu du danger le groupe a annulé sa tournée, même les journalistes sont condamnés à rentrer au bercail dû aux attaques militaires. C’est le promoteur israélien Tal Sherf qui a confirmé cette information. Se voulant rassurant, il affirme que les dates de concert ont seulement été repoussées, pas annulées.
Neil Young, guitariste chanteur folk de renom ne jouera pas non plus à Tel Aviv devant 50 000 Israéliens. Ce concert a été annulé par les autorités en raison des tirs de roquettes du Hamas. Roger Waters, le très engagé ancien leader des Pink Floyd, auteur du fameux The Wall, a adressé une lettre ouverte à son collègue, l’enjoignant à ne pas « franchir la ligne rouge » et à ne pas « légitimer un régime colonial d’apartheid » qui « enferme dans un ghetto » les Palestiniens.
Comme on peut le constater, le boycottage et l’annulation de concert/tournée, sont principalement dus à des questions de sécurité, plutôt qu’à une réelle forme d’engagement politique.
Il est impossible que le milieu artistique ferme les yeux sur un grave conflit tel que celui-là. Une situation comme celle-ci est à l’origine de ce qu’on appelle “la fuite des cerveaux”, d’artistes et autres intellectuels. La guerre n’est pas un levier pour la culture, elle est son assassin. Les artistes, en continuant de s’unir partout ailleurs, doivent poursuivre leurs travaux, dans leurs arts, pour dévoiler une terre gangrenée par la guerre et rongée d’inégalités entre deux grands peuples.
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