Musique
Moins mythique que réelle, la Médée de Warlikowski prend aux tripes

Moins mythique que réelle, la Médée de Warlikowski prend aux tripes

13 December 2012 | PAR Christophe Candoni

La Médée de Cherubini dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski et sous la direction musicale de Christophe Rousset à la tête des Talens lyriques se donne au Théâtre des Champs-Elysées et sort en DVD. Controversée et finalement largement acclamée, la production bénéficie d’un traitement de choc opéré par le radical metteur en scène polonais qui extirpe du mythe l’héroïne infanticide pour la ramener crûment à la vie réelle. Une force dramatique incomparable est portée à l’incandescence par la soprano allemande Nadja Michael, une Médée borderline et bien d’aujourd’hui.

La deuxième représentation au Théâtre des Champs-Elysées aura été à peine moins houleuse que la première. Sans être interrompue, elle n’aura pas non plus été exempte de la contestation bruyante et déplacée d’une minorité du public, sans doute les mêmes incultes et insensibles qui avaient, il y a quelques saisons, hué le court et pourtant somptueux extrait du film « Allemagne année zéro » de Rosselini projeté par Warlikowski en préambule au troisième acte de Parsifal à la Bastille. Cette fois, c’est l’ajout d’un tube yéyé de Paul Anka sur lequel les convives du mariage entre Jason et Dircé dansent le twist qui a provoqué l’ire des puristes grincheux.

Passons sur cet incident minable et disons combien cette lecture de Médée est absolument magistrale et bouleversante. Warlikowski s’éloigne de la Médée magicienne mythique pour livrer le portrait d’une femme amoureuse et désespérée, une Médée humaine donc et vivante. Comme il l’avait fait pour l’Iphigénie de Gluck au Palais Garnier, Warlikowski cherche et parvient à rapprocher l’héroïne de nous en présentant son histoire sous la forme contemporaine d’un épouvantable drame domestique et intime, celui d’un douloureux divorce. Les films amateurs en super 8 de mariages et de vies de famille heureuses laissent entrevoir une image conventionnelle et presque “publicitaire” d’une forme de bonheur érigé en modèle qui finalement conduit les protagonistes à leur perte, les dialogues parlés réécrits dans un langage contemporain et quasi ordurier, sont des ajouts qui ne sont pas gratuits ; ils intensifient l’âpreté du drame que l’on reçoit d’une manière cinglante.

Lorsque Médée fait irruption au royaume de Créon pour reconquérir Jason, l’homme qu’elle aime et qui l’a fuit, elle est étrangère à la mondanité étouffante de ce milieu petit-bourgeois qui l’a rejette. On peut d’ailleurs voir dans le long rang de sable qui traverse et scinde le plateau, le désert de Colchide qui se substitue au tapis rouge protocolaire des mariés. Cette étrangeté intrusive explose là encore avec force. Médée apparaît dans un look rappelant celui de la chanteuse pop anglaise Amy Winehouse. Jupe en cuir noir, chevelure brune comme ses yeux fardés, tatouages sur les bras, talons vertigineux, elle dénote. Fièrement combative, elle joue de ses atouts et de l’attirance sexuelle qu’elle suscite, se présente à la fois ravagée, destroy, et terriblement menaçante. Elle représente un vrai danger aux yeux de Néris (la douce Varduhi Abrahamyan), de Dircé (sensible Elodie Kimmel qui, parce qu’elle redoute son mariage, envoie valser sa robe et ses chaussures de noces et chante en culotte, l’idée est extra), du solide Créon de Vincent Le Texier, homme de pouvoir bling bling et arrogant qui, en tenue de footing, en rappelle un autre, et du fragile John Tessier dans Jason. Ils sont des interprètes talentueux et engagés à épouser magnifiquement la vision forte des personnages de Warlikowski.

Nadja Mickael est une Médée impressionnante, qui laisse k.o. Le chant comme le jeu sont bien peu académiques mais la soprano aux graves voluptueusement ténébreux et aux aigus tonitruants qui claquent est aussi une actrice à la présence scénique fulgurante, incendiaire et un corps absolument warlikowskien, tangible, tout en déséquilibre. Elle est protéiforme, scandaleuse, sulfureuse, charnelle (tout ce que n’est pas en somme la très exsangue Carmen de la Bastille). Elle fait aussi peur, provoque le malaise, arrache les larmes.  Et lorsque la Médée vengeresse fait sa dernière apparition, les petits pyjamas tâchés de sang des enfants dissimulés sous son pantalon de jogging et son débardeur, lui donnent les rondeurs d’une femme enceinte. Elle va les replier puis les ranger dans la commode, impassible, avec un calme troublant, le cœur sec après avoir tellement enduré. Puis elle allume une cigarette et s’en va en claquant la porte, avec une fermeté glaçante.

Ce final effroyable est le point culminant d’une représentation qui fait l’effet d’un choc amené en progression constante vers des abîmes de mal être et de violence. On doit ces sommets d’émotions au travail majeur de Warlikowski et aussi à la direction musicale parfaitement convergente de Chistophe Rousset à la fois flamboyante et acérée, d’un dramatisme exaltant.

Un mot encore sur le DVD du spectacle enregistré lors d’une représentation au Théâtre Royale de La Monnaie de Bruxelles en septembre 2011 et paru chez Bel Air classiques. C’est un très beau film dans lequel la caméra de Stéphane Metge capte au plus prêt l’intensité du jeu, la tension et l’incandescence des chanteurs-acteurs en gros plans y sont éclatantes. Si la distribution n’est pas la même que pour les représentations parisiennes, Nadja Michael est bien le rôle-titre et crève l’écran. Le film est aussi un document qui fait preuve de l’art théâtral de Warlikowski toujours en recherche et en mouvement. Ainsi, quelques modifications apportées notamment dans l’approche de personnages secondaires sauteront aux yeux des chanceux qui pourront faire la comparaison. Il restitue à merveille la force du drame qui ne fléchit pas de la scène à la vidéo.

 

Photo © Maarten Vanden Abeele

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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