Opéra
« Les Mamelles de Tirésias » par Olivier Py, brillant 3e volet du cycle Poulenc

« Les Mamelles de Tirésias » par Olivier Py, brillant 3e volet du cycle Poulenc

14 March 2023 | PAR Victoria Okada

Au Théâtre des Champs-Elysées, Les Mamelles de Tirésias de Poulenc brillent par la mise en scène d’Olivier Py et par un des meilleurs plateaux vocaux de chant français.

Fin du cycle Poulenc par Olivier Py

C’est avec Les Mamelles de Tirésias qu’Olivier Py clôture son cycle Poulenc, commencé en 2013 avec Dialogues des Carmélites, désormais considérée par beaucoup comme la meilleure production de cet opéra. Le deuxième volet du triptyque, La Voix Humaine, a été donné en création mondiale en 2021 sans public et en ligne pendant la pandémie. Couplé avec Point d’orgue de Thierry Escaich, une suite de l’histoire entre Elle et Lui, le spectacle soulignait une continuité entre deux pièces. Py a montré un retournement de la situation des deux protagonistes, une proposition de l’envers du décor de La Voix Humaine. Cette fois, il prend l’expression à la lettre. Dans la première partie, Le Rossignol se déroule en coulisses des Mamelles, avec le sombre envers des décors !

Deux œuvres opposées dans des fils conducteurs multiples

L’idée d’associer ces deux opéras, très loin par leur facture et par le sujet, ne viendrait pas tout de suite à l’esprit. Pourtant, Poulenc, fortement influencé par la musique de Stravinsky dans l’écriture des Mamelles, disait : « J’en étais encore au Rossignol ! » relate le metteur en scène.

Assister à la mort d’un empereur chinois derrière la scène d’un cabaret, c’est insolite. L’idée n’est certainement pas aisée pour tout le monde. L’acuité musicale renforce ce sentiment, ainsi que les paillettes et les plumes de costumes de scène si gaies, si superficielles et si éphémères. Éphémères, comme la brièveté de la vie, tel que l’écrivit Sénèque. Voilà un point commun entre ces deux œuvres. À chaque manipulation de décors et d’accessoires, à chaque mouvement de personnages, qui n’a pas forcément un lien avec l’action du drame, on se dit : « Tiens ! Il se passe quelque chose ; qu’est-ce que cela va être dans la deuxième partie ? » Olivier Py crée donc une attente. Et cette attente sera surpassée par un véritable divertissement de la deuxième partie. On y trouve ainsi un autre fil conducteur.

Spectacle déjanté mais savamment réglé

Déjanté, c’est le mot pour toute la partie après l’entracte. Le texte d’Apollinaire (1903) sonne toujours surréaliste plus de 100 ans après. Poulenc y ajoute la folie musicale en mêlant et en faisant succéder les partitions aux styles extrêmement variés. Néanmoins, aussi fou et désordonné que cela puisse paraître, la mise en scène d’Olivier Py est savamment réglée sur tous les points. Qui ne sourit pas en retrouvant à l’endroit les mouvements de décors vus dans la première partie ? Idem devant les déplacements de chanteurs, notamment la descente de l’escalier central du Rossignol-Thésèse/Tirésias. La scénographie de Pierre-André Weitz et les lumières de Bertrand Killy, à quatre mains — plutôt à six mains — avec Py, sont ainsi ingénieusement et parfaitement mises en place, et les chanteurs évoluent sous ces costumes à la fois symboliques et fantaisistes.

Un plateau vocal idéal pour le chant français

Dans le rouge vif de sa veste et de ses collants, augmenté de gigantesques plumes vertes, Sabine Devieilhe déploie sa voix légère et agile, élégante et raffinée. Son timbre cristallin et sa diction limpide offrent un plaisir toujours davantage renouvelé. Son écrasante présence vocale et scénique n’écrase pourtant aucunement personne, au contraire,  elle met en valeur chacun et chacune de ses partenaires. Dans Le Rossignol, Jean-Sébastien Bou ne chante guère mais s’impose par son ombre cadavérique de l’Empereur mourant, tandis que dans Les Mamelles, son attitude du Mari dépassé et son autorité vocale montrent un délicieux décalage. Déjà présent dans La Voix Humaine / Point d’orgue comme son collègue baryton, Cyrille Dubois explore à chaque production un nouvel horizon. Sa voix devient désormais plus longue et plus large, tout en conservant la fraîcheur et la clarté de la jeunesse qui lui sont si propres. Lucile Richardot étonne une fois de plus par son timbre singulier et immédiatement reconnaissable, cette fois dans la figure de La Mort, figure qu’elle conserve dans Les Mamelles où elle joue le rôle de la Marchande de journaux. Laurent Naouri paraissait quelque peu affaibli dans la première partie (Le Chambellan) et tout au début de la deuxième (Le Directeur du théâtre), mais dans l’opéra-bouffe, il explore son talent aguerri d’acteur. Chantal Santon Jeffery sert bien la couleur chaude de sa voix pour incarner La Cuisinière et La Dame Élégante. Victor Sicard,  Le Gendarme amateur de SM et Rodolphe Briand,  Une Grosse Dame dans la robe jaune-jonquille et un masque de lapin rose, livrent chacun un spectacle à eux seuls, alors que Francesco Salvadori, M. Presto, fascine avec ses beaux graves. Les caractères et les timbres divers et variés de leur voix colorent notamment l’opéra-bouffe qui part dans tous les sens mais permettent dans cette diversité une formidable cohérence par l’articulation parfaite du français. Et dire que tout cela se passe non pas dans un pays imaginaire Zanzibar mais sur la scène du premier cabaret gay d’Europe ouvert à la fin du XIXe siècle à Cannes, nommé… Zanzibar. La touche Py est à son apogée, et toute la salle s’amuse !

Le Chœur Aedes et l’Orchestre Les Siècles au sommet

Pour compléter le plan vocal, le Chœur Aedes offre une prestation sidérante de précision et de beauté, placé sur les galeries du cabaret, mais surtout lorsque les chanteurs sont dispersés entre les allées, les balcons de l’avant-scène et les couloirs de la salle. Ils réalisent cette performance — car c’est une véritable performance — uniquement à l’oreille, sans possibilité de voir le chef. Mathieu Romano  hisse ainsi son chœur au sommet de l’art choral, parfaitement intégré dans le spectacle. Dans la fosse, François-Xavier Roth aiguise chaque pupitre des Siècles. Précis et adéquat, l’orchestre est dans un parfait équilibre par rapport aux voix. Tour à tour mélodieux, lyrique, rythmique, avec des expressions tendres, alertes, revigorantes, c’est un idéal accompagnement dans le meilleur sens du terme. Ainsi, il est si naturellement fondu dans l’ensemble du spectacle que l’on peut, par moments, oublier sa présence, ultime preuve de brio pour un orchestre de spectacle.
À quoi s’ajoute la chorégraphie des danseurs à petites tenues qui, jusqu’au bout, égaie les spectateurs lors des rappels à la manière d’une vraie revue de cabaret.

 

Jusqu’au 19 mars.
France Musique diffuse l’enregistrement du spectacle le 15 avril prochain à 20 heures. Le spectacle sera également diffusé par Mezzo le 28 mars 2023 puis sur Medici TV à partir du 31 mars 2023, et enfin sur TF1

visuels © Vincent Pontet

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