Opéra
Hérodiade de Massenet remis à l’honneur au Théâtre des Champs-Élysées

Hérodiade de Massenet remis à l’honneur au Théâtre des Champs-Élysées

27 November 2022 | PAR La Rédaction

L’Opéra de Lyon et l’Institution parisienne donnaient l’occasion de redécouvrir cette œuvre riche qui annonçait les futurs chefs-d’œuvre du compositeur, avec une superbe distribution et sous la direction enflammée de Daniele Rustioni.

Par Victoria Okada et Paul Fourier

Sur les scènes parisiennes, les opéras se suivent, mais ne se ressemblent pas. Alors que l’Opéra de Paris présente une version décapante de la Salomé de Strauss et Wilde (1905), l’Opéra de Lyon et le Théâtre des Champs-Élysées redonnent un opéra doté des mêmes personnages, mais dont les ressorts sont bien différents. Cette fois, Hérodiade (qui ne reconnaît pas sa fille qu’elle a abandonnée) et Salomé sont « rivales », puisqu’Hérode marié à la première regarde la seconde, cette « enfant », avec concupiscence. La Princesse Salomé a plutôt les yeux tournés vers le prophète Jean et l’amour semble, contrairement au drame de Strauss, largement partagé. Alors que Jean est envoyé à la mort par Hérode, elle décidera de le suivre dans le trépas.
Disons-le d’emblée, ni l’écriture de Massenet qui reste très classique, ni la dramaturgie concoctée par Milliet et Grémont, n’approchent les futures, révolutionnaires et fondatrices, de Wilde et Strauss, mais l’on y admire le métier musical et des accords qui annoncent Manon, Werther et Thaïs. Les caractères y sont passionnés et des thèmes intéressants (et modernes) résonnent dans cette histoire, tels que la présence de foules manipulées par la politique, mais néanmoins inconstantes. De-ci de-là, l’on y repère aussi quelques formules à faire aujourd’hui dresser les cheveux sur la tête, tel ce « Va, tu n’es qu’une femme… une mère jamais » (sic !).

La richesse de la partition où l’on détecte des influences multiples (Wagner, l’Aïda de Verdi, la grande musique russe), quoique parfois conventionnelle dans la logique de ce XIXe siècle finissant, est fascinante. Massenet affirme ici un art de mélodiste qui fera merveille dans ses prochains opéras, mais il joue aussi du spectaculaire, comme dans l’imposant final de l’acte III. La virtuosité de la partition se traduit dans de multiples pages purement orchestrales, les introductions des parties (notamment celles du second tableau de l’acte III et de l’acte IV !), les nombreuses parenthèses d’ensemble (la réception des Romains) ou les superbes ballets. Dans l’ouverture, un petit brin de wagnérisme annonce les actes III et IV dans lesquels le chromatisme et la continuité sont plus développés. Le grandiose et le dramatique sont d’emblée mis en avant, avec un orientalisme évocateur (qui reste épisodique). Entre les premier et deuxième actes, où l’on assiste encore à une notion d’airs à numéro, et les troisième et quatrième, on repère une nette différence d’écriture orchestrale, mais dans la deuxième partie la continuité prévaut. De manière générale, dès le début, l’incrustation de l’orchestre dans les parties chantées (chœur, soli) et vice versa est finement ciselée, dans une continuité musicale savante.
L’orchestration est riche et variée, les vents particulièrement en honneur, le saxophone, la flûte, le cor qui accompagne seul des airs, mais aussi le violon, le violoncelle et la harpe témoignent d’un compositeur talentueux, soucieux tant des grandes masses, comme de la richesse d’interventions isolées d’instruments.

D’un point de vue vocal, les rôles sont, en tout point, de tout premier plan

Contrairement à ce que peut faire penser le titre, Hérodiade se fait largement voler la vedette par Salomé. Hérode et Jean sont des personnages magnifiques et fouillés et la force de la distribution s’appuie aussi sur les seconds rôles, tels ceux du très présent Phanuel, tout comme celui de Vitellius, du Grand Prêtre, de l’esclave babylonienne ou de la voix dans le temple, tous pourvus d’un air ou d’un passage conséquent.

Dès son premier air, Nicole Car s’affirme en Reine de la soirée avec son air « Il est doux, il est bon » avec un chant exalté et des aigus lumineux. Elle sait donner corps à la passion engagée de la Princesse, cette encore « enfant » (caractère suffisamment souligné dans le livret). La soprano se montre émouvante au plus haut point dans sa supplique à Dieu à l’acte III, et pour son « Charme des jours passés », la voix, comme suspendue, est au service de la juvénilité volontaire de l’héroïne. Elle soutient ensuite avec un aplomb – digne de la Marguerite de Faust (un de ses grands rôles) – le face à face avec Hérode. Sa nouvelle apparition à la fin de l’acte III fait émerger le caractère singulier de cette jeune femme confrontée à un monde hostile et masculin, et sa combativité amoureuse dans la scène de la prison sera alors superbe.

Étienne Dupuis fait une entrée en matière de grande classe avec « Elle a fui le Palais (…) Salomé, Salomé ! » où la noblesse de son chant rivalise avec la perfection de sa prononciation qui réussit à donner tout son sens à ses sentiments. Dans le grand air du deuxième acte, le baryton affiche tantôt une belle sensibilité, tantôt la rudesse qui sied au Tétrarque, l’ensemble étant réalisé sans sacrifier aucun mot et de surcroît, avec une voix admirablement projetée. Ses appels à Salomé à l’acte III, témoignent d’une maîtrise amoureuse qui sera vite contrebalancée par des accents de menace, deux registres dans lesquels Dupuis est parfaitement à l’aise.

Ekaterina Semenchuk est – et ce n’est guère une surprise – celle dont la prononciation française est la plus perfectible. Mais, forte d’une présence scénique redoutable (nous nous rappelons Les Troyens à Munich, saccagés par Christophe Honoré), elle se saisit de ce personnage à la psychologie torturée (que Massenet et ses librettistes ont tracé à gros traits), pour construire une Hérodiade « humaine » qui fait état de ses déchirements (« Pour toi, j’ai quitté mon pays et ma fille »). Dans son splendide duo avec Phanuel au troisième acte, grâce à des sons piani étonnants, elle fait émerger la sensibilité de la mère.

Jean-François Borras, lui, démontre sans peine, sa maîtrise du grand écart dans un rôle à la tessiture tendue. Au premier acte, il surgit d’abord sur trois « Jezabel » tonitruants, mais il sait ensuite alléger sa voix pour ciseler les mots dans un superbe duo avec Salomé, où les voix s’accordent alors parfaitement. Son grand moment, lors de l’acte III où son air : « Ne pouvant réprimer – Adieu donc », introduit par un solo de violoncelle, est un modèle de chant distingué dans lequel ses beaux aigus traduisent tantôt la douceur, tantôt la puissance du prophète.

Nicolas Courjal, à qui échoit l’honneur d’ouvrir deux actes, a le chant efficace qu’on lui connaît, mais une technique qui s’aligne de plus en plus sur une déclamation permanente à la limite du vérisme, faisant de Phanuel un personnage par trop monolithique. Ses passages sont, néanmoins, toujours, pourvus d’une force indéniable.

Pawel Trojak étonne, tant ses interventions en Vitellius savent s’élever au niveau des grands solistes présents à ses côtés. Giulia Scopelliti, elle, ne rate pas le coche, en affichant sa belle voix ronde dans le rôle de l’esclave. Enfin, Pete Thanapat et Robert Lewis (tous deux solistes, comme Trojak du Lyon Opera studio) sont tout aussi exemplaires dans leurs rôles moins importants.

Le chœur de l’Opéra de Lyon, bien présent, fort d’une diction irréprochable, est d’une précision et d’une puissance qui s’insèrent parfaitement dans le cadre, parfois magistral, voulu par Massenet.

Il est superflu de dire qu’avec cette partition monumentale d’une richesse incroyable, Daniele Rustioni est à son affaire, mettant en avant toutes les particularités de cette partition somptueuse, en conférant un fort caractère dramatique à la représentation. Même en version de concert, on imagine tout à fait le côté visuel des scènes, dans lesquelles les couleurs instrumentales évoquent (parfois avec cliché) l’imaginaire orientaliste de la fin du XIXe siècle. Quelques toiles connues de Delacroix, Jérôme, Chassériau ou encore Vernet traversent l’esprit. Menant tout cela avec l’ardeur « capillaire » qu’on lui connaît, le chef sait inonder la salle d’un flot sonore, sans jamais noyer les artistes, ou donner la part belle à tous les instruments, et ce, avec une rigueur d’orfèvre exalté.

On ne peut donc que louer l’Opéra de Lyon et le Théâtre des Champs-Élysées d’avoir, par une réussite aussi éclatante, rappelé que Massenet fut ce compositeur qui, à côté d’œuvres plus intimistes telles Manon et Werther, savait aussi porter haut le grand opéra français.

Visuel : © Paul Fourier

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La Rédaction

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