Opéra
Grande soirée bellinienne avec Les Puritains au Théâtre des Champs-Élysées

Grande soirée bellinienne avec Les Puritains au Théâtre des Champs-Élysées

03 April 2023 | PAR Paul Fourier

Avec Jessica Pratt à sa tête, l’équipe réunie, très bien dirigée, a merveilleusement servi le dernier opéra de Bellini.

En 1834, Vincenzo Bellini a quitté l’Italie ; il recentre alors sa vie et ses activités vers le nord, plus précisément à Londres où sont présentées ses œuvres avec de brillantes distributions (Malibran, Pasta, Donzelli, entre autres). Il pose ensuite ses valises à Paris. Ce sera malheureusement de façon définitive… puisqu’il décèdera à Puteaux en septembre 1835.
À son arrivée, il fréquente alors Rossini et Chopin, va régulièrement aux « Italiens » où le directeur du lieu lui passe commande d’un opéra.
Le livret tiré de la pièce « Têtes rondes et Cavaliers » de d’Ancelot et Saintine est confié à l’inexpérimenté Carlo Pepoli qui ne brille pas par sa subtilité.
Mais l’essentiel n’est pas là : I Puritani est finalement le dernier opéra de Bellini qui, à 34 ans, délivre un chef-d’œuvre absolu qui connaît un succès immédiat et phénoménal ; un succès probablement dû au fait qu’au soir de la Première du 24 janvier 1835, sur la scène des Italiens, se produit un carré d’as (qui sera d’ailleurs baptisé « quatuor des Puritains ») : Giulia Grisi, Giovanni Battista Rubini, AntonioTamburini et Luigi Lablache !

I Puritani est l’un de ces ouvrages qui, selon les époques et les théâtres, ont subi des coupes plus ou moins aléatoires, selon une pratique courante à l’époque. Une version très complète avait néanmoins été donnée en juin 2019 à Liège, sous l’égide de Speranza Scapucci (lire ici). Les choix faits ce soir par le chef, Giacomo Sagripanti sont moins ambitieux : si l’acte I semble être joué dans sa quasi-totalité (avec le superbe trio « Se il destino a te m’invola » entre Arturo, Riccardo et Enrichetta), l’on relève, plus loin dans la partition, quelques coupes dommageables qui n’ont, toutefois, pas altéré l’équilibre de l’ensemble.

Une œuvre d’une grande difficulté et des interprètes totalement adaptés

Cette œuvre offre aux solistes – et au chœur – des airs d’une incomparable beauté et le défi principal repose sur des interprètes d’excellence qui doivent parfaitement maîtriser la grammaire belcantiste bellinienne, sans, toutefois, réduire l’exercice à une seule démonstration technique.
En ce 1er avril au Théâtre des Champs-Élysées, était réunie une équipe à même, dans sa totalité, de relever le gant.

Le chef, Giacomo Sagripanti a, indéniablement, été le grand architecte de la réussite de la soirée. Durant toute la représentation, il a dirigé finement l’Orchestre de chambre de Paris en colorant distinctement les différentes scènes, pour un opéra qui peut passer subitement du joyeux au tragique lorsqu’apparaît la folie d’Elvira.
Avec lui, la musique de Bellini respire : tantôt les cors, tantôt les flûtes, tantôt les violons ou les violoncelles sont mis en avant pour éclaircir ou assombrir les ambiances. Le rythme s’adaptant en conséquence, le chef s’avère toujours attentif aux chanteurs qui, jamais mis en difficultés, peuvent soit déployer leurs phrases, soit, à l’inverse donner libre cours à leur virtuosité.
Très sollicité, le chœur de chambre Les éléments s’est parfaitement inscrit dans la même dynamique par ses interventions remarquables. Il est notamment admirable lorsqu’au début du deuxième acte, il décrit l’état et la raison chancelante d’Elvira.

Avec Jessica Pratt, nous tenons une Elvira d’exception. Familière du rôle depuis de nombreuses années, Pratt est la digne héritière des plus grandes belcantistes façon Sutherland ; elle maîtrise à tous égards la technique bellinienne et sait transmettre l’ambiguïté de la « folie belcantiste » qui combine agilité et exploration des failles de l’héroïne.
Ce soir, elle entre en scène par un « sposa, no ! » péremptoire, et, d’emblée, impose un rythme effréné en mettant son chant virtuose et ornementé, au service de la sensibilité extrême de l’héroïne. Certes l’on sent que les suraigus sont d’émission moins facile que par le passé, mais elle ne les éludera jamais pour autant. La Polonaise « Son vergine vezzosa » est stupéfiante ; l’on sent son esprit vaciller dans un « O vieni al tempo » dans lequel les aigus, allégés et suspendus à la flûte, se colorent de tristesse.
À l’acte suivant, le « O rendetemi la speme » avec ses aigus diaphanes et un « le Vien diletto, in ciel la luna » époustouflant, sont admirables et emplis de ces contrastes qui exposent la palette entière des émotions de l’héroïne.

Ce soir, Levy Sekgapane faisait ses débuts dans le rôle, après la défection de Xabier Anduaga… et cela s’annonçait comme une prouesse. En effet, sur sa page Facebook, on peut lire qu’il a appris le rôle en deux jours, pour être prêt pour les premières répétitions. On comprend donc aisément que son entrée (avec le « A te o cara ! ») soit humble et prudente et qu’il pousse un juste « ouf » de soulagement à son issue.
En début de soirée, les aigus (chargés d’un petit vibratello) ne sont pas d’émission si aisée et les suraigus, ensuite, ne seront, globalement, pas longtemps tenus.
S’inscrivant dans une filiation qui, on l’imagine, prévalait à la création de l’œuvre en 1835, Sekgapane s’affirme fort d’un chant et d’une technique encore très rossiniens et cela contribue à apporter jeunesse et ardeur à ce personnage d’amoureux et d’aventurier.
Après cette belle entrée en matière, le ténor se libère totalement et se lance, à corps perdu, dans la partition. Absolument déchainé, il aligne les suraigus dans le duo qui précède le trio « Se il destino a te m’invola » de l’acte I, trio dans lequel il usera aussi de superbes mezza voce.
Dans le troisième acte, dans lequel Arturo revient, il démontre d’abord une réelle fraîcheur de chant avant, bravache, de tout oser dans le « Vieni fra queste braccia » et le « Creasi, misera » où il confirmera un aplomb hors du commun, en émettant rapidement le fameux et impossible contre-fa.

Sekgapane, déjà habitué aux délires pyrotechniques de Rossini, a parfaitement intégré – surtout lorsque votre Elvira est Madame Jessica Pratt – ce qui fait l’impact du chant belcantiste chez Bellini, en sachant mettre sa technique, déjà bien rodée, au service de l’excitation primaire du public qui attend avant tout des artistes un spectacle vocal étourdissant.
Même si, à ce stade de sa carrière, il pourrait être hasardeux de réitérer trop souvent l’exercice d’Arturo, son entrée dans le rôle l’a, d’emblée, imposé comme un des interprètes en mesure de relever durablement les défis du rôle.

Gabriele Viviani incarne, lui, un Riccardo de grande classe. Son air d’entrée est porté par un legato exemplaire. La voix n’est certes pas très souple, et les vocalises parfois un peu délicates, mais l’incarnation de ce personnage torturé est irréprochable. Avec la cavatine « Ah ! Per sempre io ti perdei » (et sa somptueuse reprise), accompagnée d’un orchestre toujours attentif et à la rythmique parfaite, il livre une superbe démonstration de chant qui porte toute l’ambiguïté de Riccardo dont les actes sombres découlent de son amour pour Elvira.

Dans le rôle de Sir George Walton, Krzysztof Baczyk réussit également un quasi-sans-faute.
À l’aise avec la tornade Pratt lorsqu’elle entre en scène, il apporte la sagesse du parent qui sait raisonner tantôt le père, tantôt la fille. Son air « Cinta di fiori » est alors parfaitement interprété. Et lorsqu’il entre en contact avec Riccardo, il use d’accents propres à le tourmenter. Cela aboutira ensuite (à un petit accident vocal près à la fin) à un très beau « Suoni le tromba » pleinement équilibré, quoiqu’aussi chargé de la testostérone à ce moment nécessaire.

Tamara Bouzanou dispose d’une belle voix de mezzo, pour le rôle de la Reine, un rôle finalement assez linéaire, écrit sans excès par Bellini, et souvent mal distribué. Présente notamment dans le trio rétabli de l’acte I, elle apporte le juste pendant féminin d’Elvira.

Enfin, le ténor Riccardo Romeo et le baryton Giacomo Nanni se feront remarquer à chacune de leurs interventions, démontrant, par là même, qu’une belle équipe peut être composée avec soin, y compris pour les rôles les plus modestes.

In fine, cela aura été un plaisir de constater que Paris (principalement, disons-le, au Théâtre des Champs-Élysées) sait aussi faire briller ce répertoire au plus haut point exigeant, qu’est le bel canto bellinien… Alors forcément, on en redemande et, autant que faire se peut, avec de si beaux interprètes et un chef de ce talent !

Visuel : © Paul Fourier

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Paul Fourier

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