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Anne Sauvage : “June Events a une forme toujours en mouvement”

Anne Sauvage : “June Events a une forme toujours en mouvement”

29 May 2022 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Du 30 mai au 18 juin, l’Atelier de Paris est au cœur de l’actualité chorégraphique puisque s’y déroule, déjà, le 16éme Festival June Events. Rencontre avec la directrice des lieux, Anne Sauvage.

Nous nous rencontrons à quelques jours de l’ouverture de June Events, et la situation est radicalement différente par rapport à l’année dernière.

C’est vrai que l’année dernière nous n’avions pas pu faire totalement notre festival. Nous avions dû nous réorganiser jusqu’à la dernière minute en proposant une plateforme professionnelle sur les trois jours de mai qui étaient les dates initialement prévues. Et puis, quand les théâtres avaient pu rouvrir le 19 mai, nous nous étions réorganisés sur quelques représentations au public, encore à ce moment-là dans des jauges limitées. Pour cette édition, il y a une réelle attente de notre côté de retrouver un festival dans la configuration qu’on aime, celle que nous avons connue jusqu’en 2019.

Là, il n’y a aucune demande de la part des autorités, on ne demande pas spécialement le port du masque ou le contrôle du pass, tout est libre non ?

Alors toutes les contraintes sanitaires sont levées, ce qui n’empêche pas le public et les professionnels, je pense, de garder  certaines habitudes. Nous aurons des gels hydro-alcooliques dans les espaces du festival. Je pense que la situation aujourd’hui n’est plus la même, et heureusement. Il y a un plaisir, une joie de retrouver le public et l’ambiance festivalière. Il faut tout même rappeler que L’Atelier de Paris a une saison, il ne vit pas seulement pendant June Events. Nous avons pu accueillir le public et donné une centaine de représentations en tout cette saison. Nous sommes bien sûr impatients que le festival débute mais nous n’avons pas a été totalement privés de recevoir du public depuis le dernier June Events. Il se passe quand même beaucoup de choses entre deux éditions de festival !

La programmation est internationale, merci pour ça. Vous ouvrez avec Daniel Linehan, il y a Christos Papadopoulos… ça me semble plus vaste que d’habitude, je me trompe ? Le festival ne s’institutionnaliserait-il pas un peu plus ?

Je ne vois pas June Events comme une institution. C’est toujours un festival qui est à la recherche de la découverte, qui tente de proposer toujours de nouvelles expériences. Je pense que c’est un festival qu’on espère vraiment à l’endroit de l’actualité. Effectivement, cette année nous sommes heureux de voir revenir l’international dans la programmation. Nous attendons depuis 2020, les spectacles de Catherine Gaudet ou de Manuel Roque. Ce sont vraiment des reports post-crise Covid. Quand j’ai repéré L’affadissement du merveilleux de Catherine Gaudet, nous étions en 2018. J’avais vraiment envie de pouvoir présenter cette artiste à Paris pour la première fois. Nous sommes très chanceux car il y a une vraie reconnaissance du festival aujourd’hui dont c’est la 16e édition. Évidement, tout cela ne s’est pas fait en un jour, mais je ne le vois pas comme un objectif finalisé. J’espère que June Events a une forme toujours en mouvement. J’espère que les choses ne sont pas figées et institutionnalisées aujourd’hui. Nous avons montré la capacité du festival et de l’Atelier de Paris à faire de nouvelles propositions avec les contraintes qui étaient les nôtres. J’espère que nous allons garder cette force de proposition. La garder, la faire grandir, la faire vivre pour être, à la fois en capacité de l’adapter aux nouveaux usages qui sont en train de se créer côté public mais aussi du côté des compagnies chorégraphiques, qui ont des besoins qui évoluent. Elles ont besoin d’être plus accompagnées en terme d’écoute de notre part, de dialogue. Et également, elles ont besoin de plus de moyens financiers pour produire des pièces.

Cela possible aussi grâce au label, l’Atelier de Paris est devenu un Centre de Développement Chorégraphique National…

L’Atelier de Paris a en effet été labellisé en 2015, il y déjà 6 ans. Ça a changé beaucoup de choses.

Est-ce que l’accompagnement financier fait partie du projet du CDCN ?

On vit aujourd’hui une situation de reprise du secteur. Malgré tous les efforts qui ont été faits de la part des partenaires publics, et évidement l’État et la ville de Paris, il reste une tension palpable et bien présente. C’est une tension réelle qu’il faut accompagner. Notre label ne nous protège pas de la diminution des marges artistiques, de la difficulté des recettes propres. À l’Atelier de Paris cela ne concerne pas seulement les problématiques de billetterie, ça se concentre aussi sur des questions de ressources propres qui existent moins aujourd’hui, comme les locations d’espaces, les recettes de la formation professionnelles. Tout établissement a son modèle économique. C’est toujours un enjeu à défendre, et à développer.

Revenons à cette 16e édition. Il y a une masse de nouveaux artistes, de jeunes créations dans la programmation. Quelle est la part de découverte de « nouveaux talents » ?

Alors, c’est vrai qu’accompagner de nouveaux talents c’est vraiment une des missions d’un CDCN, mais c’est aussi la proposition que nous faisons avec June Events. Le festival est vraiment le temps fort de la saison. Les soirées sont doubles. Elles se composent d’une première partie découverte, qui permet de proposer au public de jeunes talents mais aussi une deuxième partie de soirée sur le plateau de l’Aquarium, qui nous accueille, où on peut vraiment proposer des spectacles de plus grands formats. C’est vraiment un enjeu pour June Events de pouvoir accompagner des compagnies indépendantes dans la production de grands formats. Nous le faisons avec l’Atelier de Paris, nous le faisons avec un projet inter-réseaux des CDCN et CCN qui est La Danse en grande forme. Cela permet de proposer au public autre chose que des solos ou du trio, ce n’est bien sûr pas une question artistique c’est vraiment une question d’économie de la danse contemporaine. Les jeunes compagnies sont évidemment plus dans un modèle économique de petite forme. Et nous nous avons vraiment toujours eu envie de mettre en avant ces productions de compagnies indépendantes sur des projets plus ambitieux.

Parlez-moi de ce réseau Grande forme…

C’est un projet inter-réseaux entre quatorze CDCN et CCN qui se rassemblent et mettent chacun une part de coproduction. Aujourd’hui elle est de 89 000€, dédiée à des projets chorégraphiques de compagnies indépendantes. Donc une fois tous les deux ans nous coproduisons un projet, cette année c’est la Danse en grande en forme et le magnifique projet porté par le CDCN de La Manufacture à Bordeaux.

Quel spectacle va être porté ?

Le prochain projet qui est porté par la Danse en grande forme c’est une pièce de Mette Ingvartsen qui sera créée en 2023.

Cette année, un spectacle a-t-il été accompagné par ce réseau ?

Le spectacle qui a été accompagné par les CDCN c’est Larsen C de Christos Papadopoulos dont on devait faire la création l’année dernière mais qui n’a pas pu avoir lieu et qui donc est faite cette année. Ça c’est une coproduction commune interne au réseau du CDCN.

J’ai été attirée par le rapport à la nature, le festival ouvre d’ailleurs dans le Bois de Vincennes.

C’est vrai qu’il y a toujours eu une intention de l’Atelier de Paris sur des projets de danse situés et ce n’est pas la première fois dans le festival qu’on propose des spectacles dans la nature. On a pu le faire aussi sur des places dans le 12e arrondissement. C’est vrai qu’il y a toujours une conscience, depuis 10 ans on peut noter chez les chorégraphes une conscience écologique qui est très présente. Mais il me semblait qu’au sortir de la crise Covid, il y avait vraiment une actualité chorégraphiques concentrée sur des spectacles qui mettent en jeu le rapport au vivant avec une proposition d’écoute, d’éveil des sens qu’il fallait pouvoir accompagner et rendre visible.

Nous avons parlé de production mais pas de diffusion.

Nous avions vraiment envie de mettre en visibilité tous ces projets-là dans June Events. Notamment des chorégraphes qui ont travaillé sur les deux facettes, à la fois une proposition extérieure et à la fois une proposition scénique, sur le plateau à partir d’une même matrice créative. C’est le cas du diptyque de Daniel Linehan que nous allons présenter. Nous avons voulu faire le défi d’ouvrir le festival, de manière décalée et de proposer un autre temps de partage. Donc le festival s’ouvre dans le Bois de Vincennes dès le lundi 30 mai à 9 heures pour ensuite retrouver la deuxième partie du diptyque en salle de manière plus conventionnelle. J’ai voulu porter une attention sur des propositions qui ont une proximité avec le public. This Cavern artistiquement invite le public au plateau avec un dispositif sonore qui facilite l’écoute profonde que propose Pauline Oliveros dans sa musique. Il y avait un sens que le public soit en proximité avec des danseurs. Je pense qu’il y avait une nécessité post Covid pour le public d’avoir cette proximité et d’être dans le partage des œuvres. Il y a ce magnifique travail de Daniel Linehan, celui de Vania Vaneau, et j’ai envie de citer l’équipe de Marion Carriau et Magda Kachouche. Tous les trois mettent le rapport au vivant au centre de leur création et qui ont pris des chemins différents par rapport à cette relation au vivant. C’est ça qui nous intéresse à June Events, c’est aussi quel chemin de création, de production les chorégraphes ont pris avec cette thématique. Par exemple, Daniel Linehan est allé travailler en forêt. Ce travail en forêt, l’écoute du vent, les éléments naturels, la sensation de travail avec le sol, tout cela est venu nourrir sa pièce. C’est un chemin qui s’est inscrit dans le travail chorégraphique. Pour Marion Carriau et Magda Kachouche, il y avait une pièce qui avait été créée au plateau, ensuite elles viennent de faire une nouvelle résidence et elles feront leur dernière résidence sur les premiers jours de June Events, pour aboutir à une création le 11 juin. Elles m’ont déjà témoigné qu’elles allaient pouvoir, avec cette dernière résidence en milieu naturel, colorer leur pièce. Vania Vaneau s’est nourrie d’éléments naturels pour sa scénographie au plateau. Il y a vraiment des allers-retours qui se font. Cette expérience de créer en milieu naturel est vraiment complètement différente, qui est difficile car ce sont aussi des éléments qui sont mouvants, qui nourrissent complètement la composition chorégraphique sur le plateau. Et ça c’est aussi une aventure que nous avions envie d’accompagner, une création chorégraphique au-delà des conditions classiques de présentation au public. Le rapport au vivant ne s’éprouve pas seulement dans des présentations en milieu naturel, il s’éprouve aussi sur les plateaux.

C’est le cas d’autres spectacles ?

Oui, je vous ai parlé des trois projets présentés en diptyque, mais il y aussi des pièces comme Earths de Louise Vanneste où les quatre danseuses sur scène sont dans un processus de travail sur le plateau, c’est un processus d’incarnation du végétal qui nous raconte, à la fois, des récits vraiment intimes et fictionnels. La scénographie déploie une mousse suédoise et végétale sur le plateau. Quand on parle d’éveil des sens, il y aussi une sensation très forte olfactivement pour le public. On est vraiment sur le plateau mais on est sur une reconstruction scénographique d’évocation très puissante. Il y a aussi Larsen C de Christos Papadopoulos qui a un travail chorégraphique très millimétré, à convoquer des images de murmurassions d’oiseaux, de bruissement des arbres… Larsen C, c’est le nom de la plus grande glace d’Antarctique. Le chorégraphe s’inspire aussi des mouvements de mutation de la glace. Il y a des images extrêmement fortes liées à la nature, au rapport au vivant et au climat qui nourrissent ces pièces. Il faut aussi citer Manuel Roque qui évoque dans sa pièce la collapsologie, donc l’effondrement de nos sociétés contemporaines, lié évidemment à la crise écologique.

J’aimerai que nous parlions de la relations que vous cultivez avec le public.

Pour moi, la question de l’accueil du public sous toutes ses formes a toujours été une question très importante. La convivialité, le côté ludique de l’appréhension de la danse, la dimension de fête sont des éléments auxquels je suis très sensible. La danse est avant tout une fête, avant d’être sur le plateau, c’est une forme ancestrale d’art où tout le monde est invité à participer, un rassemblement des corps. Et je pense qu’après ces années d’empêchement, nous avons aussi besoin de retrouver cet aspect-là de la danse. Pour moi c’est une évidence qu’un festival soit l’endroit d’une convivialité, d’un besoin de proximité des corps et de pouvoir rassembler très largement, sans le côté sérieux ! Je ne voudrais pas que le terme soit galvaudé, mais j’espère que ce festival sera aussi une fête.

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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