Opéra
Chorégies d’Orange 2019 : 150e édition et dynamique nouvelle

Chorégies d’Orange 2019 : 150e édition et dynamique nouvelle

10 July 2019 | PAR Raphaël de Gubernatis

A la direction des Chorégies d’Orange depuis 2016, mais n’exerçant sa propre politique artistique que depuis l’an dernier, Jean-Louis Grinda assume donc cette année sa deuxième programmation au Théâtre Antique. Il imprime un franc renouveau à un festival qui célèbre cette année sa 150e édition. Et c’est lui qui met en scène le « Guillaume Tell » de Rossini à l’affiche de ce vendredi 12 juillet 2019. On l’a découvert en pleine canicule, au pied du petit bâtiment qui abrite les bureaux des Chorégies, dégustant goulûment une glace, tout comme un enfant de chœur qui aurait été surpris par le curé de sa paroisse en plein péché de gourmandise.

Raphaël de Gubernatis : Alors que ces dernières années le répertoire s’était terriblement rétréci, par crainte de ne pas pouvoir remplir les gradins de l’immense Théâtre Antique d’Orange, les Chorégies, sous votre direction, connaissent une vigoureuse évolution: répertoire lyrique renouvelé, spectacle de ballet, concerts aux thèmes très divers. Cette évolution serait-elle due au fait que vous jouissiez de plus gros moyens ? Ou simplement à plus d’audace ?

Jean-Louis Grinda : Non, les Chorégies n’ont guère plus de moyen qu’auparavant. Mais dès le début de 2015, époque où j’avais posé ma candidature à la direction du festival, j’avais parié pour plus d’ambition. En décidant de donner deux représentations de chacun des deux opéras programmés chaque été, Raymond Duffaut, mon prédécesseur, s’était enfermé dans une logique commerciale qui l’obligeait à ne monter que des ouvrages censés attirer entre 13 000 à 14 000 spectateurs en deux soirs. La contrepartie était qu’on ne pouvait ainsi miser que sur des titres archi-connus et revenir en boucle sur un répertoire restreint. Des chefs d’œuvre bien sûr, comme « Carmen », « Tosca », « Aida » ou « Traviata », mais dont le retour périodique réduisait singulièrement le panorama lyrique. Moi, j’ai préféré m’extraire de cette logique économique qui s’essoufflait et conduisait les Chorégies à l’asphyxie, sinon au désastre. Programmer deux opéras, oui, mais sans l’obligation de consacrer deux soirées à chacun, me laisse toute latitude pour un programme plus ouvert, plus aventureux. A moi de créer un contexte attractif de façon à pouvoir oser des ouvrages moins connus, qui seront des découvertes pour le large public qui est le nôtre.

On disait les Chorégies condamnées à se répéter à la suite d’un manque de curiosité des spectateurs, d’une régression des mentalités, d’une frilosité d’esprit de plus en plus accentuée…

Mais pas du tout ! Si vous savez créer l’événement, avec un ouvrage qui a de l’éclat, qui demande une belle distribution et une mise en scène brillante, qui est serti au sein d’une programmation incitant à la découverte, le public est prêt à vous suivre. Il est bien plus ouvert et généreux qu’on ne le croit. Et bien souvent, on le mésestime. Prenons cette « Nuit espagnole » que nous avons proposée le 6 juillet dernier avec l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo sous la direction d’Oliver Diaz, accompagnant la soprano Ana Maria Martinez, le ténor Ismael Jordi et bien évidemment le héros de la soirée, Placido Domingo, ainsi que le Ballet Antonio Gadès. On y proposait des mélodies de zarzuela et de la danse flamenco. Ce n’était pas gagné d’avance. Rien n’est jamais gagné d’avance d’ailleurs. Eh bien, nous avons reçu quelque 5000 spectateurs payants, un chiffre auquel on ne s’attendait pas du tout, et la soirée a donné lieu à un vrai triomphe avec ovations debout dont Domingo a pris une bonne part évidemment.

Ce public des Chorégies d’Orange, comment le définir ?

Tout d’abord, il est extrêmement divers, populaire. Et j’entends par “public populaire” un public où presque toutes les classes de la société sont représentées. Il provient la plupart du temps d’une vaste zone comprise entre Nice, Montpellier et Lyon : avec des gens à petit budget, venus des environs immédiats, et qui, pour rien au monde, ne manqueraient une édition d’un festival qu’ils considèrent un peu comme le leur ; avec des amateurs d’art lyrique accourus de l’étranger pour entendre de grandes voix traditionnellement invitées aux Chorégies ; avec tout un contingent de spectateurs venus de la capitale et résidant en été dans le sud ; avec des barons de la finance ou de l’industrie ; avec de grands bourgeois ; avec des vacanciers de divers pays venus assister à une manifestation qui apparaît comme une attraction supplémentaire dans leur découverte de la Provence… Comme l’Opéra de Paris aujourd’hui avec ses 850 000 spectateurs annuels, Orange attire donc des personnes d’origines très diverses. C’est aussi que le Théâtre Antique est un lieu si emblématique et si ouvert que beaucoup aiment s’y retrouver. Si elles occupaient un site sans grand caractère, il est sûr que les Chorégies n’exerceraient pas le même attrait sur les foules. Mais assister à une production qui se doit d’être de qualité dans un cadre à ce point grandiose ; se retrouver dans un monument qui, il y a deux millénaires, accueillait déjà des spectacles de théâtre, de musique ou de danse, puisque c’était sa fonction première dès sa fondation, sous le règne d’Auguste, au premier siècle après Jésus Christ, c’est quelque chose qui, consciemment ou non, apporte à chacun quelque chose de bouleversant, d’infiniment poétique. Et cela vaut pour les artistes aussi bien que pour les spectateurs. Car on est réellement transporté par ce lieu exaltant.

Cette foule de spectateurs, comment donc susciter son appétit, sa curiosité ? Quelle stratégie déployez-vous pour l’attirer ?

Je suis avant tout un instinctif. Je suis mon sentiment, non une stratégie ou une démarche d’intellectuel. Une relation de confiance s’est, je crois, établie entre l’institution et le public, ce qui permet de proposer à ce dernier des choses peut-être inattendues. C’est ainsi par exemple qu’ont été présentées « La Nuit russe » en 2018 et cette année « La Nuit espagnole ». L’an dernier encore, le « Mefistofele » d’Arrigo Boïto a rendu les gens heureux. D’innombrables spectateurs m’ont interpellé pour me dire leur plaisir de cette découverte. Je trace ainsi ma route, pour remettre à flot ce festival en l’ancrant dans une audace artistique raisonnée. A moi de m’organiser pour susciter l’intérêt du public. Ce sera le cas par exemple le 29 juillet prochain avec la VIIIe Symphonie de Mahler, dite « des Mille » à cause du nombre considérable d’exécutants qu’elle exige. Des exécutants qu’il faut faire venir à Orange, loger, entretenir et faire répéter sur place. C’est précisément pour cela qu’on donne très rarement cette œuvre, en raison du nombre énorme de musiciens, de solistes et de choristes qu’elle requiert. Cependant, j’ai réussi à convaincre les deux orchestres de Radio France, l’Orchestre Philharmonique et l’Orchestre National, de jouer ensemble sous la direction de Jukka-Pekka Saraste. Et j’ai la satisfaction d’être solidement soutenu dans ce projet par le directeur de la Musique de Radio France, Michel Orier. Nous bénéficierons aussi du concours du Choeur et de la Maîtrise de Radio France et du Chœur Philharmonique de Munich pour cette œuvre monumentale diffusée de surcroît en direct sur France Musique, ainsi qu’à la télévision sur France 5. C’est une entreprise formidable qui aura sans doute des dizaines, voire des centaines de milliers d’auditeurs : elle est pour moi l’exemple même de ces événements exceptionnels que doit pouvoir réaliser un festival comme les Chorégies d’Orange. Et pour la plupart de ces auditeurs, cette exécution de la VIIIe Symphonie de Mahler sera une vraie découverte. D’ores et déjà, nous sommes assurés de recevoir près de 4000 personnes dans le Théâtre Antique. C’est dire que le public a plus de sagacité et d’esprit d’aventure qu’on ne croit, qu’il faut aussi lui proposer un rôle de découvreur en lui offrant l’opportunité d’une telle aventure. C’est dire aussi, en dépit de l’énormité de l’entreprise, qu’il n’est pas plus nécessairement plus coûteux de faire au mieux et que c’est infiniment plus gratifiant pour les organisateurs.

Et la danse ? Et « Roméo et Juliette » avec les Ballets de Monte Carlo, vos voisins monégasques, puisque vous êtes également à la tête de l’Opéra de Monte-Carlo ?

Pour le Théâtre Antique, il faut nécessairement faire appel à des compagnies de haut vol, dans des ouvrages d’une indiscutable qualité. C’est évidemment le cas avec cette chorégraphie de Jean-Christophe Maillot qui a été saluée maintes fois par la critique et le public depuis sa création en 1996. Dans ce cadre immense et magique, il faut de belles chorégraphies et des musiques aussi magnifiques que celle du ballet de Prokofiev pour que la danse y tienne dignement son rang. Désormais, chaque année, une grande compagnie de ballet sera à l’affiche, car le public a besoin de danse. Et il faut nécessairement des troupes prestigieuses pour faire accourir les spectateurs en nombre. Et des ouvrages renommés comme « Le Sacre du printemps », celui de Béjart ou celui de Pina Bausch. Il serait bon également que le Ballet de l’Opéra de Paris puisse se déplacer à Orange. Il s’agit d’une institution nationale qui, bien fâcheusement, n’est visible que par un public qui séjourne à Paris. Il est aussi indispensable que je ne marche pas sur les plates bandes du festival voisin de Vaison-la-Romaine qui est de toute façon appelé à exploiter un répertoire et des troupes très différents de ce qui peut se faire aux Chorégies. Les grandes compagnies de danse ne manquent pas. Encore faut-il qu’elles soient disponibles en période estivale. Ce sont de tels spectacles chorégraphiques déjà existants, tout comme « La Nuit espagnole », dont les recettes contribuent aux financement des grandes mises en scène d’opéras et permettent à l’entreprise que sont les Chorégies de ne pas demander éternellement au surcroît de financement de la part des pouvoirs publics.

Dans le domaine lyrique, quels titres envisagez-vous de présenter ces prochaines années sur l’immense scène du Théâtre antique ?

Des opéras français comme des opéras de Richard Strauss. De Wagner aussi, bien sûr, mais pas tout de suite. Des ouvrages du bel canto italien, du Donizetti et assurément du Verdi. J’aimerais beaucoup aussi revenir à Berlioz dont la dimension se doit de s’épanouir dans le cadre grandiose du Théâtre Antique. Bref, des chefs d’œuvre, ou du moins de ouvrages de grande qualité portés par des mises en scène magnifiques. Car je tiens à ce que les Chorégies d’Orange soient à nouveau considérées comme un terrain d’aventure épique et de dimension populaire.

Chorégies d’Orange ; 04 90 34 24 24.

Le 12 juillet : « Guillaume Tell » (Rossini)
Le 16 juillet : Concert des révélations classiques de l’Adami
Le 17 juillet : « Roméo et Juliette (Prokofiev/Maillot)
Le 28 juillet : « VIIIe Symphonie » (Mahler)
Les 2 et 6 août : « Don Giovanni » (Mozart)

© Visuels :  Portrait (c) : alain hanel /Orange au Coucher du soleil

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Raphaël de Gubernatis

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