Théâtre
Festival RéciDives: “Nos Fantômes”, le spectre de Shakespeare prête son souffle au théâtre d’objets

Festival RéciDives: “Nos Fantômes”, le spectre de Shakespeare prête son souffle au théâtre d’objets

10 July 2019 | PAR Mathieu Dochtermann

Dans les créations présentées lors de la 34e édition du festival RéciDives, le spectacle Nos Fantômes de la cie TAC TAC propose de revisiter Hamlet sous forme de théâtre d’objets, en mariant le vers shakespearien – traduit – avec quelques souvenirs d’adolescence. Une promenade dans l’intertexte, qui joue sur les symboles véhiculés par les jouets d’enfants, perchée sur un équilibre délicat entre l’intime et l’éternelle tragédie. Très enthousiasmant.

De la compagnie TAC TAC, et du travail de Clément Montagnier, on avait aimé Respire! Picardie forever, qui jouait déjà sur la forme du théâtre d’objets pour tirer délicatement le fil du souvenir.

Nos Fantômes s’inscrit dans cette filiation, en même temps qu’il se déploie dans de nouvelles dimensions. Pour réussir à retrouver cet intime, qui nous est proche, et pour le relier à la grande tragédie, qui nous est essentielle pour discerner le sens de notre destinée, le spectacle entrecroise trois univers.

Jeux de bascule pour spectateur attentif

Univers premier: celui du présent, d’un ici indéterminé, de ce qui se raconte immédiatement, à la première personne, par l’interprète qui pourrait jouer à être lui-même, ou à être un autre. Deuxième espace, celui du souvenir, par la plongée dans le récit des déboires d’un adolescent retranché dans son grenier, qui pourrait être le narrateur à l’âge de quinze ans auparavant, qui sait? Troisième univers, celui d’Hamlet, dans un temps bien plus lointain, dans un lieu bien plus éloigné.

On sait que les marionnettistes et les spécialistes du théâtre d’objets manient redoutablement bien les changements d’échelle et d’espace. Dans Nos fantômes, ces transitions sont constantes. Mais les bascules claires et bien construites permettent de tisser le lien entre ces horizons différents, et de donner ainsi un sens incarné et immédiat aux enjeux de la tragédie shakespearienne. Les échos des affres du prince du Danemark, et l’empreinte laissée par la découverte du théâtre, se mêlent inextricablement au drame intime vécu par un jeune homme abandonné par son père.

Ce voyage, qui donne presque le vertige, se fait sur de nombreux plans en même temps: espace-temps des univers représentés, collision des personnages qui se superposent sur les mêmes interprètes ou objets, clins d’oeil complices qui invitentle public à rire de certaines conventions théâtrales… Le spectacle est diablement bien écrit.

Le comédien, ses objets, sa vidéo

Pour porter cet entrelac de vrai-faux, le théâtre d’objets de la compagnie TACTAC déploie son efficacité. Ici, ce sont des jouets, figurines d’animaux divers, qui assument majoritairement l’incarnation des personnages. Mais cela n’exclut pas une grande part de jeu d’acteur, presque intégralement portée par Clément Montagnier (malgré la présence d’un complice au plateau), qui s’en sort avec les honneurs passée la roideur des premières minutes.

Nouveauté notable par rapport au spectacle précédent, l’irruption de la vidéo dans le travail de la compagnie, avec une captation retransmise en direct qui réussit très bien à se glisser dans les enjeux dramatiques, voir les amplifie. Que ce soit pour simuler un JT, pour donner à voir des représentations mentales, pour ouvrir des points de vue sur l’action, son utilisation n’est jamais un gadget artificiel.

C’est bien pensé, bien intégré, et la manipulation en gros plan s’appuie sur quelques effets pour donner un vrai plaisir cinématographique qui enrichit le spectacle. On peut considérer, à ce niveau, la vidéo comme un nouvel objet au service du récit, porteur de ses propres signes et de ses propres références… du théâtre d’objets avec une caméra, en somme!

Aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas, etc.

La mise en scène est très bien faite. L’espace est harmonieusement occupé par une scénographie qui symbolise un grenier. Les stations de jeu sont bien distribuée, les déplacements des deux interprètes, comédien et technicien au plateau, habilement réglés pour ne pas gêner le jeu.

La grande jeunesse du spectacle – on a assisté à la première publique! – explique les quelques scories qui restent encore à évacuer: un personnage qui n’est pas encore juste, quelques vers qui sortent plus difficilement, mais ce sont là des éléments qui s’estomperont avec le temps.

Reste surtout à saluer une écriture intelligente – écriture du texte, écriture dramaturgique, et écriture visuelle. Le spectacle mêle humour, sauvagerie, émois adolescents, tragédie, satyre sociale, et même un fait divers qui crée un net malaise chez le spectateur, en tenant admirablement rythme et lisibilité.

On peut parier que le public prendra un vif plaisir à découvrir cette oeuvre intelligente, pleine de sensibilité et de générosité. Et on lui souhaite de faire une belle route!

Programmée encore le jeudi 11 juillet à RéciDives, Nos Fantômes jouera également au festival MiMa à Mirepoix.

 

DISTRIBUTION
jeu, mise en scène, écriture Clément Montagnier
aide à l’écriture dramaturgique Hélène Arnaud
regards extérieurs Isabella Locurcio, Aurélia Monfort

regard bienveillant Katy Deville
vidéo Thomas Michel
création musicale Judith Bouchier-Végis

régie, création lumière Marie Carrignon

visuel: © cie TAC TAC

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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