“Papic”, quand la bande dessinée se glisse joliment dans les atours du spectacle
Un spectacle soigné et enchanteur, tel est Papic de la compagnie Drolatic Industry, présenté au festival RéciDives. A partir du livre jeunesse Les Trésors de Papic d’Émilie Soleil et Christian Voltz, Gilles Debenat et Maud Gérard déploient leur univers graphique, en préservant le texte de l’album au mot près. Le support est un théâtre de silhouettes en 2D, manipulées de main experte dans un décor-castelet qui se dévoile à mesure de l’histoire. Un spectacle sur les récits et la transmission transgénérationnelle, qui parlera aux adultes et ravira les petits.
Une fable familiale douce-amère, ou l’art d’être un grand-père animé
L’histoire mise en images puis en scène dans Papic est à la fois teintée de joie et de nostalgie, toute empreinte de douceur malgré l’inéluctable conclusion à laquelle mène le passage du temps : la disparition progressive des êtres chers. On accompagne ainsi la petite Sacha – qui était un garçon dans le livre – de ses 1 ans au début de l’âge adulte, ainsi que son papy qui pique, son « Papic ».
Dans une relation très proche et pleine d’amour, s’organise le passage de la mémoire de la famille, en même temps qu’un passage de ce pouvoir de conter. C’est donc une fable sur la transmission, sur les rapports entre les générations, en même temps que cela raconte quelque chose du processus narratif lui-même : le pouvoir de faire renaître le passé en l’évoquant – la grand-mère absente revit par ce pouvoir de l’évocation – et la façon dont le récit un peu enjolivé se pare aussi des attributs du mythe.
Une mise en images comme un ravissement
On retrouve dans ce spectacle la signature esthétique de la Drolatic Industry (v. notre critique des Histoires de M. Pepperscott), qu’on ne peut pas manquer d’identifier immédiatement si on a déjà vu l’une de ses créations. L’univers de l’album jeunesse est transposé dans un trait dépouillé, tout en rondeurs, beaucoup plus réaliste. Les gammes de couleurs aident à séparer le souvenir de ce qui relève du présent de la narration. Entre les contours repassés en noir et les couleurs qui vont chercher tantôt dans les gammes primaires, tantôt dans un nuancier sépia, le tout bien souligné par la lumière, on a parfois l’impression de regarder des vitraux !
Les marionnettes en deux dimensions qui naissent de ces images quand elles sont manipulées – elles sont parfois articulées, mais pas systématiquement – sont amenées avec beaucoup de délicatesse, avec un grand soin apporté à l’apparition, même si la disparition est parfois un peu plus abrupte. L’idée employée pour introduire les deux personnages est admirable : deux portraits sont tenus par les interprètes qui présentent les personnages, qui vont ensuite prendre vie à l’intérieur de leur cadre. L’image parle, l’image s’anime, l’image vit et sort de son cadre : en une scène, le principe de tout le spectacle est posé. Brillant.
Théâtralisation parfaitement maîtrisée
Il ne suffit pas cependant que les images soient belles : si on veut faire théâtre, il faut le jeu, la voix, le mouvement, la mise en scène. En la matière, la Drolatic Industry a de l’expérience, et cela se ressent. La vocalisation est parfaitement maîtrisée, le jeu très plaisant se laisse complètement oublier pour servir le récit, la manipulation est très fluide et douce à l’image de tout le reste du spectacle.
L’écriture musicale est construite au plus près de l’action, au point d’épouser le mouvement des marionnettes dans certaines scènes. La tonalité de la composition, simple et gaie, complimente joliment le propos. La mise en scène construite en plans successifs dévoilés au fur et à mesure du récit permet d’habiles apparitions. Elle offre en plus une belle métaphore de la relation qui s’approfondit, ainsi que de la compréhension de l’enfant qui s’étend jusqu’à lui permettre de déborder le cadre. Les images mentales gagnent en complexité à mesure que l’imaginaire se déploie de plus en plus loin.
Les enfants sont captivés pendant 30 minutes, on les entend à peine respirer. Les adultes goûtent à la nostalgie de leurs souvenirs, prennent la mesure du temps qui s’écoulent et des trésors qui leur restent encore à découvrir. Tout le monde ressort charmé de cette promenade intime aux accents intemporels – l’art d’être grand-père n’a pas beaucoup changé depuis Victor Hugo…
Prochaine occasion de le découvrir: au Théâtre Halle Roublot en septembre, si tout va bien!
Mise en scène Gilles Debenat / Interprétation Gilles Debenat et Maud Gérard, en alternance avec Valérie Berthelot / Construction Gilles Debenat avec la complicité de Maud Gérard et Cédric Radin / Création lumière Cédric Radin? / Musique Wenceslas Hervieux / Regard extérieur Valérie Berthelot
Photo ©Philippe Caharel