Classique
Placido Domingo, un soir de règne supplémentaire chez Verdi

Placido Domingo, un soir de règne supplémentaire chez Verdi

19 January 2019 | PAR Paul Fourier

Le désormais baryton a fait superbement le show à la Philharmonie de Paris.

Il est des artistes dont on se demande toujours quand ils décideront d’arrêter leur carrière. Avec Placido Domingo, nous en avons pris notre parti, car il semble nous répéter à l’envi : jamais ! Selon certaines estimations, à 78 ans (dans quelques jours), il aurait abordé plus de 150 rôles et, ayant fait le tour des partitions de ténor, il poursuit désormais son aventure extraordinaire sur le terrain des barytons. Alors, évidemment, il a lâché du monde en route, d’aucuns lui reprochant un répertoire dans lequel il n’aurait jamais dû aller. Certes, il ne manque pas parfois de nous agacer, car effectivement, on peut se dire qu’à sa place, l’on pourrait entendre un jeune baryton talentueux. Mais il continue à remplir les salles et la plupart des prestations de celui qui, loin de la routine, enchaîne encore les représentations, apparaissent comme exceptionnelles. Exceptionnelle, par exemple, lorsqu’obligé de s’arrêter en plein milieu d’un air de Germont père dans la Traviata à l’opéra Bastille, il fait signe au chef, reprend et nous dispense un moment de chant inoubliable, de ceux qui restent gravés dans les mémoires des happy few qui y étaient comme un bel épisode de l’histoire (avec un grand H) de l’opéra.

À la Philharmonie de Paris, il avait choisi d’interpréter Macbeth, Monfort des Vêpres Siciliennes, Posa dans Don Carlo, le comte de Luna dans le Trouvère en compagnie de Irina Lungu (soprano), Arturo Chacon-Cruz (ténor) et Rafal Siwek (basse).

Commencer la soirée avec l’air de l’acte IV de Macbeth paraît un choix assez redoutable puisque, d’entrée, il sollicite durement la voix. Effectivement, serait-ce pour nous tromper, le vibrato de l’artiste trahit l’âge qui est passé par là. Il s’en tire néanmoins sans trop de dommage, car la puissance de l’interprétation nous rappelle aussi que ce qui a fait Domingo, c’est sa présence en scène, sa caractérisation, cette facilité à devenir, à vivre le personnage.
L’expérience nous a appris à ne pas nous fier à ses premières mesures, qu’il a besoin de se chauffer ; la transformation est spectaculaire, car l’homme, désormais un peu vouté physiquement, gagne toujours de la jeunesse en scène jusqu’à terminer rayonnant comme à 20 ans. Plus drôle, à moins d’être confronté à des bêtes de scène, il réussit souvent à prendre, non pas en force, mais modestement par sa présence, l’ascendant sur les cadets qui évoluent près de lui. Ce concert n’a pas dérogé à la règle et ce sont les autres artistes qui paraissent se nourrir de son énergie ce soir ; il fallait notamment regarder comment Arturo Chacon-Cruz, stressé à l’extrême au début de la soirée semblait s’être libéré complètement, à son issue, au contact de Domingo.

Prudemment, l’air de Macbeth sera son seul air en solo. Car ce qui fait Domingo aussi, c’est son amour du travail d’équipe, tout en empathie avec cet air affectueux avec lequel il veillait du regard, des gestes, ceux qui l’accompagnaient.
Et, effectivement, il va nous offrir dans les duos, des moments de grâce absolus, notamment dans les deux airs avec le ténor mexicain et dans l’extrait du Trouvère où il bouscule Irina Lungu dans ce rôle ignoble.

Le ténor, précisément, par un engagement puissant (et progressivement libéré) nous offre une très belle prestation, en duo comme dans ses solos superbes du Bal Masqué et surtout de Luisa Miller. Il a peu chanté à Paris et l’on espère le revoir vite.
Irina Lungu nous laisse plus dubitatifs, car si elle excelle dans Traviata, «son» rôle dans lequel elle apporte éclat et virtuosité, elle paraît très mécanique dans l’air des Vêpres, assez commune dans Luisa Miller et totalement hors jeu dans Leonora.
De Rafal Siwek, on retiendra principalement le bis, un air de Rossini qui démontre que son terrain de jeu est là et chez Mozart, peu chez Verdi et pas du tout dans la peau de Philippe II, roi d’Espagne.
Quant à Eugene Kohn à la tête du Belgian National Orchestra, s’il fait le job en accompagnant bien les chanteurs, il ne va guère au-delà en allant même jusqu’à s’empêtrer dans une ouverture des Vêpres Siciliennes d’une pénible lourdeur.

Au moment des bis, le chef annonce que l’on quitte Verdi et l’on comprend que cela va permettre notamment aux autres interprètes, de retrouver leur zone de confort, eux qui, il faut bien le dire, étaient surtout là pour accompagner le roi, exercice dans lequel il est difficile de tirer son épingle du jeu. Siwek donne un très bel air de la calomnie, Lungu chante avec douceur Gianni Schicchi, Chacon-Cruz nous délivre un air de Tosca de toute beauté.
Mais, facétieux, c’est Domingo qui, en s’aventurant encore et toujours là ou ne l’attend pas, chez André Chénier, chez Gérard, dans cet air finalement d’abord peu facile, trouve le moyen de nous bluffer.
La première des ouvertures donnée en début de concert était celle, rarement jouée, d’ «Un jour de règne». Elle annonçait la couleur, Domingo allait régner toute la soirée, dans nos cœurs et de manière éclatante chez son compositeur fétiche. C’était sans oublier qu’il le fait depuis désormais cinq décennies et qu’il est capable de nous éblouir, encore. Avec sa petite mine réjouie de papy de l’opéra, son regard vif nous a dit : je suis encore là…! Et avec quel talent !

© Paul Fourier

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Paul Fourier

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