Opéra
Jonathan Tetelman fait un atterrissage réussi à la Philharmonie de Paris

Jonathan Tetelman fait un atterrissage réussi à la Philharmonie de Paris

30 January 2023 | PAR Paul Fourier

Le ténor accompagnait Angela Gheorghiu. La soprano a affiché, pour sa part, une santé vocale bien dégradée.

Angela Gheorghiu a, depuis longtemps, proclamé son statut de Diva. Et le public a intégré cette affirmation. Seulement… les exemples les plus prestigieux ont montré que le temps qui passe agit aussi sur ces quasi-déesses. Certes, être Diva, c’est un comportement, des changements de robes (du rouge au lamé bleu ce soir), ce sont des attitudes (et parfois, également, beaucoup de minauderies) ; c’est aussi, une générosité et une musicalité qui restent, malgré tout, en général bien intactes. En revanche, vocalement, l’on doit avouer que la prestation de la soprano fut, ce soir, à la Philharmonie de Paris, bien loin d’être au niveau du statut revendiqué.

Il est inutile de s’attarder sur les notes transposées (voire fausses), ni sur un air d’entrée (« Caro mio ben » de Tommaso Giordani) que, même la position d’air d’échauffement ne pouvait rendre acceptable. La habanera de Carmen démontra que si l’air (si populaire qu’on finit par faire croire qu’il est facile à chanter) peut être interprété, par une soprano, il exige alors, des moyens (et des graves naturels) tout autres que ceux que Gheorghiu possède actuellement. Force est d’admettre que ce fut bien douloureux à écouter. Quant au « Pleurez mes yeux » du Cid, un des airs les plus émouvants… lorsqu’il est donné sobrement, le recours, encore une fois, à un registre grave artificiel et un aigu bien acide, n’avaient rien pour convaincre, malgré l’engagement de tragédienne de l’artiste.

C’est finalement dans les duos (et en particulier dans les rôles qui lui sont familiers – Adrienne Lecouvreur et Tosca – et chez Puccini, avec Manon Lescaut et Gianni Schichi, que l’on a retrouvé une Angela Gheorghiu peut-être pas plus stable, mais plus intègre, absolument engagée, d’autant qu’elle avait un partenaire très déterminé en amoureux transi.

Jonathan Tetelman, la révélation

Car le ténor qui l’accompagne est, incontestablement, la révélation du moment et les rôles qu’il a incarnés ce soir sont, à n’en pas douter, ceux dans lesquels il va évoluer prochainement.

Dans le passé, son Stiffelio de Strasbourg (pour lire l’article, c’est ici) avait dévoilé un sens extraordinaire de l’interprétation et des moyens considérables et depuis, son talent s’est confirmé, en janvier 2022, dans Tosca au Theater an der Wien (à lire ici).

Cette notoriété toute récente, dernièrement illustrée par un album magnifique chez Deutsche Grammophon, amène forcément à s’interroger sur les sollicitations – voire les pressions – dont il va faire l’objet, dans un avenir proche, et du travail qu’il va devoir réaliser pour assumer le statut de future « star » qui lui est probablement promis, alors même que les ténors de son acabit ne sont actuellement pas légion et que les tenants des titres montrent d’indéniables preuves de faiblesses.

Bien sûr, la nature humaine pousse immanquablement les spectateurs intransigeants à exiger la perfection immédiate et l’on peut lire, ici ou là, que la voix ou la technique auraient des défauts – ce qui est vrai ! De toute évidence, l’instrument exceptionnel à l’impact et à la projection phénoménale dont est pourvu le ténor de 34 ans va devoir s’affiner, s’apprivoiser avec le temps et les rôles.

Car si l’aigu est impressionnant, le passage de registre pour y arriver lui, n’est pas toujours naturel et, par ailleurs, l’émission dans le bas médium peut s’avérer, à l’inverse, confidentiel.
Mais quel sens de la scène ! Quel jeu ! Quel timbre ! Et quelle latinité combinée avec les accents sombres d’une voix. Alors lyrique ? spinto ? L’avenir le dira !

Ces réserves énoncées, il faut savoir reconnaître que tous les airs et duos furent de très haut niveau. D’emblée, le « O figli… Ah la paterna mano » de Macduff a montré l’adéquation du ténor avec ce Verdi exigeant qui demande à un ténor d’exister en un air.
Bien sûr, l’on peut dire – avec les références exceptionnelles que l’on a dans l’oreille – que ni le « Cielo e mar », ni la « fleur » de Carmen, ni le lied d’Ossian n’exhibent encore suffisamment ces nuances, ces sons piani ou ces diminuendos qui les feront accéder au statut d’interprétations anthologiques. Mais il existe, aujourd’hui, peu de chanteurs, capables de donner ces airs avec l’impact rendu ce soir. Son Maurizio, son Cavaradossi, son Chénier (même avec partition) trouvent déjà un artiste accompli et parfaitement à son aise dans ces rôles.
Et lorsqu’il s’est écarté de l’opéra pour aborder un air de Zarzuela, le « Non puede ser » de La tabernera del puerto, les murs de la Philharmonie ont tremblé – et les spectateurs avec –, entraînant alors une ovation phénoménale qui a démontré que le beau Jonathan était bien armé pour devenir l’un des prochains favoris du public parisien. Chacun espère donc, désormais, le voir programmé à l’Opéra de Paris, pour la saison prochaine (d’autant qu’Alexander Neef était dans la salle de la Philharmonie).

Ce soir, il y eut un troisième grand acteur…

Quel plaisir ! d’avoir un orchestre présent, non pour seulement (bien) « accompagner » les artistes, mais pour exister, par lui-même, grâce à son talent et sous la baguette d’un chef brillant.

Le Belgian National Orchestra, dirigé par Frédéric Chaslin, a été de ceux-là. Il l’a montré dans une Burlesca P 59 d’Ottorino Respighi où la battue ardente a fait rivaliser la masse des cordes avec de très beaux soli de violoncelles et une puissance, maîtrisée, mais impressionnante, des vents et des percussions. Il l’a montré avec le Prélude et l’Aragonaise de Carmen où la tension allait de pair avec la justesse des flûtes, trompettes, trombones et percussions.
Il l’a enfin montré aussi, dans une ouverture du Roi d’Ys, pièce si peu souvent donnée en concert et pourtant si belle, où l’on a senti les vagues de l’Océan nous submerger jusqu’à la tempête d’un final quasi-wagnérien.

En définitive, alors même que les ovations ont été bien présentes aux saluts, on a vraiment pu dire que ce fut une soirée très contrastée, tant les avis pouvaient diverger.
Ce que l’on retiendra essentiellement, c’est que lorsque s’annonce le crépuscule d’une étoile, l’aube d’une autre n’est jamais très loin…

Visuels : © Paul Fourier

Disparition du danseur et chorégraphe Attilio Labis : une étoile s’est éteinte
Disparition de Tom Verlaine, figure du punk-rock et leader de Television
Paul Fourier

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration