Opéra
Jonathan Tetelman : “En ce moment, je teste mes futurs rôles”

Jonathan Tetelman : “En ce moment, je teste mes futurs rôles”

18 February 2023 | PAR Paul Fourier

Après un passage à la Philharmonie où il était aux côtés d’Angela Gheorghiu, le ténor se prépare à chanter Fedora à l’Opéra de Las Palmas. C’est l’occasion pour faire un point sur sa carrière et un tour d’horizon de ses futurs engagements.

Bonjour Jonathan, vous êtes donc actuellement à Las Palmas pour Fedora…

En effet, je viens de commencer les répétitions ; la première aura lieu le 21 février.

Vous êtes avec votre femme et votre bébé…

Et mes parents également.

Où habitez-vous en ce moment ?

Entre New York et Bucarest où se trouve la famille de ma femme. Mais nous allons déménager en Europe, normalement l’année prochaine.

Ce qui paraît plus pratique pour votre carrière.

C’est le moment ! Halte à la vie de bohémien (rire).

Jonathan, si vous le voulez, nous pouvons commencer cet entretien par les étapes antérieures de votre vie de chanteur. Comment avez-vous débuté ?

Je dois dire que le chant m’a intéressé alors même que j’étais très jeune. Très tôt, à l’école lorsque j’avais que j’étais entre 10 et 14 ans, je me suis intéressé à l’opéra et j’ai intégré une école où l’on enseigne la musique. Entre 2007 et 2011, ce fut la Manhattan School of Music ; j’étudiais alors en tant que baryton. C’est lorsque, je suis allé au Mannes College of Music, que l’on m’a convaincu que j’avais une voix de ténor. Et finalement, si je peux dire, cela a provoqué une « crise vocale », car, à ce moment, changer de voix, cela n’a vraiment pas été facile pour moi, ni physiquement ni mentalement. En fait, j’ai pris conscience que je devais changer toute ma vie pour devenir un ténor (rire) ! Pour cela, il faut vraiment comprendre sa voix.

Quel âge aviez-vous alors ?

J’étais dans ce que j’appelle ma « quarter-life crisis » ; j’avais environ 23-24 ans. J’ai alors travaillé à New York comme DJ dans une boite de nuit pour payer mon loyer. Et finalement, je suis revenu à l’opéra, car cela me manquait et que je voulais vraiment devenir chanteur. Je m’y suis remis alors sérieusement.

Vous êtes alors définitivement devenu ténor…

Absolument ! J’étais prêt ! J’avais 26 ans alors. J’ai commencé à travailler puis le Covid est arrivé !

Au mauvais moment donc !

Oui et non. Car j’avais acquis quelques expériences pendant ces 3 années. Et donc cette interruption m’a permis de travailler dans mon coin, ce qui a finalement été bénéfique. J’ai pratiqué, j’ai regardé ce que je pouvais faire.

La scène lyrique la plus importante pour vous à cette période a été le Royal Opera House de Londres…

En effet, alors que j’étais déjà programmé dans La Bohème, peu de temps avant, on m’a appelé, en dernière minute pour chanter La Traviata. Je connaissais certes le rôle, mais ce fut la première fois que je l’ai interprété sur une scène d’opéra… et cette première fois, c’était à Covent Garden !

Vous aviez chanté auparavant au Metropolitan Opera de New York ?

Je n’avais pas eu cette opportunité ! J’avais juste été doublure pour le personnage de Flavio dans Norma avec trois répétitions pendant douze semaines. Mais y chanter va se concrétiser puisque j’y ferai mes débuts l’an prochain.

J’ai l’impression que vous êtes à un point pivot de votre carrière. Vous avez, certes, chanté Rodolfo de la Bohème et même Werther, mais, tant dans votre disque (chez Deutsche Grammophon) que pour le concert à la Philharmonie de Paris avec Angela Gheorghiu, on voit arriver des airs différents dans des rôles plus « lourds ». J’ai une petite question à propos de ce concert : comment se retrouve-t-on alors que l’on est un jeune chanteur, dans un concert avec une Diva telle qu’Angela Gheorghiu ? La connaissiez-vous ? Aviez-vous déjà chanté avec elle ?

C’est finalement assez simple ! La production était à la recherche d’un jeune ténor pour chanter avec elle, un ténor ambitieux ! (rire) et j’ai été choisi ! Nous nous sommes rencontrés deux jours avant le concert de Bruxelles. Ceci étant, je ne pense pas avoir pu produire là mon meilleur, car juste avant, ma femme et moi, avons eu une intoxication alimentaire ; j’étais malade pour les deux concerts ! Par ailleurs, il n’y a pas eu beaucoup de préparation. Mais, c’est toujours le risque avec un concert…

C’était donc votre première fois à Paris.

Il faut toujours une première fois ! J’ai dit à mes parents : il ne faut jamais mettre la barre trop haut la première fois, car lorsque vous revenez vous faites mieux ! (rire)

Lors de ce concert, vous avez chanté l’air de Macduff du Macbeth de Verdi, un rôle que vous allez interpréter à Salzbourg cet été.

C’était la première fois que je chantais cet air. C’est si beau ! C’est juste dommage que le ténor n’ait pas plus de morceaux dans la partition de cet opéra.

Avec Angela, il y a eu des duos d’Adriana Lecouvreur et d’André Chénier.

Deux rôles nouveaux également pour moi !

Est-ce que ces rôles ainsi que ceux d’Alvaro dans La forza del destino, de Manrico dans Il Trovatore, de Turiddu dans Cavalleria rusticana sont destinés à être vos futurs rôles ?

Je commence à prévoir ces rôles pour mon avenir. L’objectif du CD, si je peux dire, est de me « qualifier » pour ces rôles, de montrer que je peux chanter ces airs. Nous n’y avons donc pas mis des airs de rôles que je vais aborder prochainement comme Il Ballo in Maschera. Comme pour l’album Puccini qui est en préparation, il s’agit de tester des rôles que je souhaite chanter.

Dans votre planning, vous avez quelques annulations ce printemps : La Bohème à Dresde, Le requiem de Verdi à Paris, Cavalleria rusticana à Vienne…

Comme nous le savons tous, il y a eu de nombreux changements après la crise du Covid ; et, malheureusement, mon emploi du temps a dû s’adapter avec un calendrier plus raisonnable pour la saison 2022/23. Cependant, je suis satisfait de la façon dont tout a été planifié grâce aux efforts de mon nouveau management.

Dans quelles maisons d’opéra, allez-vous chanter la saison prochaine ?

Après le Macbeth de Salzbourg, il y aura Butterfly et une nouvelle production d’Il tabarro au Deutsche Oper. Puis, ce sera Werther à Baden-Baden. En décembre, il y aura, pour une soirée, La Bohème à Dortmund. J’ai ensuite un concert à Lisbonne et un à Istanbul. Puis finalement je serai, au Metropolitan, en fin d’hiver et au printemps, avec La rondine et Butterfly.

Est-ce vous pensez revenir à Paris prochainement ?

Je ne sais pas encore ! Je dois dire que j’ai déjà passé trois auditions pour l’Opéra de Paris et qu’aucune n’a été concluante…

Tout le monde a souligné qu’Alexander Neef était au récital de la Philharmonie…

En effet ! Wait and see… (rire)

Qu’est-ce que cela vous fait d’être parfois comparé à Jonas Kaufmann ? Dans vos projets, il y a des rôles qui ont été importants pour lui : Carmen, Werther, La forza, Chénier, Cavaradossi…

Il m’est arrivé d’entendre cela (rire). Plus sérieusement, je dois dire qu’en tant que jeune chanteur, Jonas a toujours été ma grande idole à l’opéra. Pour moi, il n’y a pas de ténor équivalent à Kaufmann aujourd’hui. Il a cette puissance de star, ce magnétisme. Je pense que quoi qu’il fasse, il doit être respecté au plus haut niveau, comme l’est Domingo, comme l’a été Pavarotti ! Il a quelque chose que les autres n’ont pas et c’est pour cela que les gens l’aiment tant. Avoir un ténor avec une grande voix sur les plus grandes scènes du monde, un ténor qui plus est « good looking », c’est vraiment rare. Je suis fier de connaitre si bien sa voix, je l’ai tellement écouté. C’est une grande inspiration pour moi. Pour moi donc, même si je n’avais que 10% de sa visibilité, ce serait déjà un énorme compliment.

Parlons de quelques rôles. Carmen est un rôle iconique, non seulement pour les Français, mais également pour le reste du monde. Quand pensez-vous pouvoir aborder ce rôle ?

Je dois dire que j’ai fait un début scénique de Carmen cet été à Kishinev en Moldavie. Ça s’est très bien passé. Je ferai mes « débuts officiels » à San Francisco en 2024. Le timing est bon. Ce sera dans un an, j’aurai fait des grands rôles pucciniens dans des grandes maisons donc ce sera le bon moment au bon endroit !

Parlons des grands opéras de Verdi. Par exemple, il y a très peu de ténors aujourd’hui capables d’assurer Manrico du Trouvère. Certains peuvent toujours critiquer Yusif Eyvazov, mais il est l’un de ceux-là.

C’est vrai ! Je ne pense pas que Verdi a conçu le rôle comme ce qu’il est devenu aujourd’hui, un rôle nettement plus lourd. Il l’a écrit pour une voix comme celle du Duc de Mantoue de Rigoletto ou comme Alfredo de La Traviata. Aujourd’hui, c’est plus devenu dans la ligne d’un Otello ou d’un Alvaro. On ne confie plus ce rôle à des ténors « belcantistes ». Je dois dire que Yusif a une excellente technique. Manrico exige tout de même un type spécifique de ténor. C’est un mélange de capacité vocale et de tempérament. Il faut les deux et si l’une manque, même si vous avez la technique et les notes, il manquera quelque chose au personnage. Je pense que l’un des derniers grands Manrico a été Franco Bonisolli, il y a bien longtemps maintenant.

Puisque vous parliez d’Otello, c’est un rôle que l’on aborde plus tard…

Oui vous avez raison. Et effectivement, j’envisage ça pour plus tard. Mais, il faut avoir conscience qu’Otello, c’est toujours Verdi ! Et je crois que le public et les critiques font parfois des confusions sur ce qu’est Verdi. Cela ne peut pas être hurlé, cela ne peut pas être agressif ! Le drame ne peut pas prendre le pas sur la beauté de la voix ! C’est la seule façon d’avoir de la compassion pour ces personnages. Vous devez pouvoir saisir le voyage sentimental de ces personnages. Et Otello, c’est un héros torturé ! Donc bien sûr, j’aimerais être un jour Otello, mais cela demande de la maturité de l’esprit en plus de la maturité de la voix. C’est Shakespeare, ce n’est pas juste de l’opéra !

Jonathan, vous avez parlé de bel canto. Il y a un rôle qui pourrait être pour vous, c’est celui de Pollione dans Norma.

Absolument ! On me l’a proposé plusieurs fois. C’est un rôle que je veux interpréter ! Ce n’est juste pas le bon moment dans mon agenda. J’espère le faire prochainement. Et c’est un rôle que vous pouvez faire jeune. On verra !

Et Chénier ? C’est un rôle difficile.

La musique est très belle, mais je dois dire qu’actuellement, je préfère Fedora que je vais chanter à Las Palmas. Quoi qu’il en soit, Chénier frappe à la porte effectivement (rire).

Pour finir dans ce tout d’horizon des rôles, il y a un personnage dont nous n’avons pas parlé, c’est Calaf (dans Turandot). Est-ce que c’est envisageable ?

Avec un bon chef d’orchestre, tout est possible ! Je veux vraiment être attentif avec les personnes avec qui je vais travailler pour mes futurs grands projets ! C’est très important pour moi en tant que jeune chanteur de me faire guider par des bons chefs !

À propos des pays dans lesquels vous avez ou aller chanter, nous avons parlé de Londres, de l’Allemagne, de la France. Qu’en est-il de l’Italie ?

J’étais en Italie l’an dernier (au Maggio musicale fiorentino) pour I due Foscari avec Placido (Domingo). Ils m’ont ensuite sollicité pour revenir la saison à venir, mais je ne peux pas, car cela percute ma venue au Metropolitan Opera. J’espère cependant y revenir dans les années qui viennent. J’espère aussi faire mes débuts à la Scala dans les trois ans qui viennent.

Aller à la Scala, c’est toujours un passage pour un chanteur. Les loggionisti peuvent être très bruyants (rire).

C’est vrai, mais cela peut aussi être le cas en Espagne, par exemple !

Parlons-en de l’Espagne. Vous êtes actuellement à Las Palmas. Rien de prévu au Liceu ou au Real ?

Il y a probablement des choses prévues en 2026-2027. Déjà, il y aura peut-être une Carmen à Pampelune en début d’année prochaine. Ce serait un bon endroit pour moi de retester le rôle.

Vous allez prochainement chanter Tosca et Francesca da Rimini au Deutsche Oper.

Pour Tosca, j’en ferai aussi une à Houston ce qui sera un début pour moi dans cette ville. Ensuite, j’aurai un break avant de faire le Macbeth de Salzbourg.

Jonathan, est-ce qu’il y a des ténors du passé que vous admirez ?

En ce moment, j’écoute beaucoup Caruso. J’apprends beaucoup de sa technique. Mais je pourrais aussi aussi parler de Pertile, de del Monaco, de Corelli, de Bergonzi et de Gigli. Que des Italiens ! Ce qui est drôle, c’est qu’il n’y a plus tant d’Italiens de cette trempe…

Quand va paraître votre CD de Puccini ?

En septembre, je pense !

Merci Jonathan, il ne nous reste plus qu’à attendre cet album et, surtout, à venir vous écouter dans les rôles que vous allez bientôt interpréter.

Visuel : © Ben Wolf / Deutsche Grammophon

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