Danse
“Les six Concertos brandebourgeois” d’Anne Teresa De Keersmaerker : Portrait de Rosas au Festival d’Automme

“Les six Concertos brandebourgeois” d’Anne Teresa De Keersmaerker : Portrait de Rosas au Festival d’Automme

22 December 2022 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Dans une volonté rétrospective, le Festival d’Automne reprend cette œuvre créée en 2018 à la Schaubühne et passée par le Palais Garnier en 2019. L’émotion est intacte. 

Il est de tradition d’aller voir un grand et beau ballet pour les fêtes de fin d’année. Le Festival d’Automne et la Villette jouent le jeu avec ce spectacle qui renoue avec les obsessions classiques d’Anne Teresa De Keersmaeker. Depuis 1981, elle travaille à une vision mathématique de la danse où la musique est un corps au même titre que celui des danseurs et des danseuses. Depuis plus de quarante ans, elle affranchit la danse des genres et des simagrées parasites. Depuis le début de ce siècle, elle expérimente. Encore ce mois-ci au Louvre, elle imposait une lutte entre la peinture et le mouvement pour sortir du cadre. La danse d’Anne Teresa est politique et écologique. Elle est très ancrée dans le moment.

Sa passion pour Bach n’est pas neuve. Ses partitions l’accompagnent depuis 1993 et Toccata, puis Partita 2 ou encore Mitten wir im Leben sind. Pour Les six Concertos, elle a choisi de ne pas placer les musicien.n.e.s sur scène. Ils et elles sont en bas du plateau et ils et elles regardent, comme nous, le spectacle. Mais ils et elles sont tout près, en ligne directe, et cette présence permet un autre dialogue, met une autre pierre dans l’édifice de la réflexion sur le lien entre corps et musique. En plaçant l’orchestre en contrebas, elle impose à ses interprètes de travailler également en dessous d’eux. 

La sensation est celle d’une soirée très chic où tout le monde, jeunes, vieux, femmes, hommes et autres, se croise et se décroise. Iels sont tous et toutes en noir et même, au départ, les filles portent des escarpins. La lumière est à ce moment un halo orange. De façon très émouvante sont réunis des pointures de la compagnie comme les nouvelles recrues : Boštjan Antoncic, Carlos Garbin, Frank Gizycki, Marie Goudot, Robin Haghi, Cynthia Loemij, Mark Lorimer, Michaël Pomero, Jason Respilieux, Igor Shyshko, Luka Švajda, Jakub Truszkowski, Thomas Vantuycom, Samantha van Wissen, Sandy Williams et Sue Yeon Youn.

Les grandes phrases chorégraphiques se composent d’une marche, d’une course et de vrilles. Pour cette pièce, Anne Teresa ne cherche pas à expérimenter comme elle l’a fait cette année avec Mystery Sonatas/for Rosa ou Forêt. On sent une immense liberté entre les phrases écrites, ce qui génère une immense joie chez les danseurs et les danseuses. La justesse n’est pas la question pour celle qui est obsédée par le déphasage. Les corps convoquent d’autres spectacles, d’autres danses : le pas de trois de La Nuit transfigurée, les vrilles et les ombres de Fase, le quatuor masculin de A love suprem sont réactivés. 

L’écriture subjugue, la pureté du son tout autant. Il est délicieux de voir le jeu se mettre en place quand, par exemple, dans un trio, chacun campe soit le clavecin, soit la flûte, soit le violon.

Les six Concertos apparaissent comme une foule qui va de la ville à la campagne, jusqu’à oser une chasse à cour à coup d’aboiements, délires pop au rythme des cors puissants. L’écriture de la pièce s’inscrit, vous l’avez compris, totalement dans le corpus d’Anne Teresa. On y trouve des spirales époustouflantes, des bassins qui twistent dans des sauts, des courses inversées, des corps aux lignes latérales, des inversions des verticalités.

C’est indéniablement une pièce qui permet de comprendre toute la carrière d’Anne Teresa De Keersmaeker, qui montre que la beauté explose quand elle fuit la figuration. Entre le moment où nous avions découvert la pièce, à la création, il y a 3 ans, et aujourd’hui, la chorégraphe a changé de cap, elle assume vouloir transmettre et expérimenter d’autres formes de déambulation. Il est formidable de revenir aux fondamentaux de la sorte pour rappeler à quel point ses questionnements et ses réflexions nourrissent ses perspectives.

Jusqu’au 23 décembre dans la Grande Halle de la Villette.

 

Visuel : ©Hugo Glendinning

Fabrice Hyber : La Vallée
Yvann Alexandre : “Bach dialogue avec les anges et démange les doigts et les pieds des danseurs”
Avatar photo
Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration