
Les lignes de Bach d’Anne Teresa de Keersmaeker à Montpellier Danse
La reine des chorégraphes offre à Montpellier Danse, pour sa clôture, sa dernière création, Mitten wir im Leben sind. Un chef d’oeuvre de plus pour De Keersmaeker, malheureusement remplacée suite à une blessure de l’épaule.
Bach.. encore ! Oui, encore. Comme si elle n’avait pas tout dit et tout fait depuis Partita 2. Et à voir, subjugués, le talent et la folie se déployer dans Mitten wir im Leben sind, la réponse est oui, oui, encore !!!
Le plateau est vide, ou presque, puisqu’au sol sont tracées les courbes qui définissent les directions très mathématiques des danseurs. Ce soir, Femke Gyselinck, sa plus proche collaboratrice remplace Anne Teresa qui aurait dû être sur scène et qui le sera pour la reprise de la pièce au Festival d’Automne. Femke Gyselinck donne la réplique successivement à Michaël Pomero, Julien Monty, Marie Goudot et Boštjan Antoncic. Oui, donne la réplique. Elle les lance en quelque sorte, les oriente dans le bon sens de la marche, pour pouvoir dialoguer avec justesse avec le violoncelle de Jean-Guihen Queyras qui déploie avec une beauté pure Les suites pour violoncelle.
La danse est créée par la chorégraphe et par les danseurs. Cela est palpable ici, dans une liberté de geste rarement atteinte chez de Keersmaeker. On retrouve les mouvements iconiques comme la vrille de Fase, très présente ici mais aussi des gestes un peu délirants. Une roulade avant par exemple ou une danse de pantin. Ils sont tous dans une énergie différente. Marie Goudot est virtuose, rapide, possédée positivement par les cordes. Julien Monty est dans une force maîtrisée, comme écrasé par la symbolique Bach. Ils sont tous les six absolument étonnants dans leurs arrêts et dans leurs reprises de vitesse.
La pièce est d’une incroyable beauté alors que rien n’est censé être beau. Comme toujours, elle cabre quand on attend de la courbe. Comme toujours, elle suspend un pas pour ne jamais le faire aboutir. Et c’est là que le génie se niche, dans la justesse dingue des ruptures de rythme.
Cette pièce se place dans les travaux que Anne Teresa De Keersmaeker poursuit sur les interactions entre le son et le geste. Comme dans Love Supreme, les danseurs ne deviennent pas les instruments, ils ne font pourtant qu’un avec le violoncelle, sans jamais l’illustrer, sans le mimer. C’est un pas de deux sans fausse note entre l’instrument et l’interprète. Le musicien est ici l’œil du cyclone, il examinera tous les points de vue : de dos, de profil et de face.
Dans cette spirale où tout recommence toujours ( Fase... décidément) rien n’est jamais acquis. Ces pas de deux ne fonctionnent que reliés les uns aux autres. Six danseurs pour six Suites. Physiquement, c’est époustouflant. Les courses, inversées, latérales, ne cessent pas. Les verticalités jouent les inversions. Au moment des saluts, les danseurs réapparaissent exsangues après deux heures passées au plateau. La spirale est en fait infernale, car ce niveau de danse, qu’ont les interprètes de la compagnie Rosas témoigne d’un engagement qui déborde de la pratique corporelle pour atteindre des cercles de réflexions intenses, forcement tracés à la craie.
Dernière à Montpellier Danse avant le Festival d’Automne, vendredi 6 juillet à 20h00, à l’Opera, place de la Comédie.
Visuel : MittenwirimLebensind © AnneVanAerschot