Danse
Forêt, la pièce monument d’Anne Teresa De Keersmaeker et Némo Flouret sort le Louvre du cadre

Forêt, la pièce monument d’Anne Teresa De Keersmaeker et Némo Flouret sort le Louvre du cadre

02 December 2022 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Au Louvre, oui au Louvre, dans l’aile Denon, onze danseurs et danseuses de la compagnie Rosas deviennent des œuvres vivantes et en colère dans une déambulation qui apparaît comme le climax du Festival d’Automne.

La danse déborde cette semaine au Festival d’Automne. En ce moment, au Centquatre jusqu’à dimanche, Alessandro Sciarroni nous fait errer dans son Dream mélancolique. Pour Forêt, l’affaire est plus colorée, chargée même ! L’aile Denon du Louvre est celle des tubes, avec La Joconde en reine. Comme toujours Anne Teresa De Keersmaeker, ici secondée par Némo Flouret rend le temps élastique. On se souvient de Somnia, son épique randonnée chorégraphique qui durait quatre heures dans le parc immense du château de Gaasbeek. Et de façon générale, ses pièces présentées dans des formats plus institutionnels dépassent souvent les deux heures.

Dans cette Forêt, les espèces d’arbres portent des jolis noms : Veronese, de Vinci, Botticelli…. Ils sont entourés de jeunes pousses et de plantes libres : Boštjan Antoncic, Lav Crncevic, José Paulo dos Santos, Synne Elve Enoksen, Rafa Galdino, Tessa Hall, Mariana Miranda, Margarida Ramalhete, Cintia Sebok, Jacob Storer et Solène Wachter.

Le spectacle repense l’idée de déambulation. Nous y sommes à la fois très dirigés et très libres. Les spectateurs et spectatrices peuvent d’ailleurs entrer dans le dispositif quand ils et elles le veulent, à 19h, à 19h30 ou à 20h. En revanche, nous en sortirons tous et toutes à 21H30. Cela permet de donner une sensation de masse grandissante dans le musée, comme une montée en tension. Au début, nous avons la sensation folle d’avoir le Louvre pour nous, et justement, de pouvoir se payer le luxe d’aller regarder La Joconde droit dans les yeux. Tout au long de l’aile Denon, un parcours nous fait passer d’un siècle à l’autre dans un mash-up d’histoire de l’art schizophrène.

Au début toujours, les artistes sont allongés immobiles sous “leur” œuvre. Puis, à un moment, chacun et chacune se met en mouvement en incarnant l’œuvre. Le procédé chorégraphique d’Anne Teresa De Keersmaeker est double : elle déphase le corps et incarne la musique. C’est exactement ce qu’elle fait ici. Elle déphase le regard et incarne la peinture dans les corps. Le procédé se met en marche, en course folle même (on aura vu Némo Flouret s’offrir des sprints avec vue sur la peinture du XIXe siècle !).

Comme dans Dream, le public n’est pas un bloc. Dans sa déambulation, il peut choisir. Certain.e.s vont se caler devant Les Sabines de Jacques-Louis David et attendre la danse, pendant que d’autres vont picorer d’un.e interprète à un.e autre. Puis, l’envie s’inverse.

Comme dans une vraie balade en forêt, chacun.e choisit son chemin au son, lui aussi,en mouvement (on aura entendu autant Steve Reich que Jean Ferrat) d’Alain Franco. Mais la forêt n’est pas que le lieu de la promenade, c’est aussi le symbole de la mort de la planète terre.

Toutes les œuvres choisies nous parlent de la fin des temps, de la guerre et de révélations : Le Déluge, Le Radeau de la Méduse, Les Noces de Cana, Saint François d’Assise recevant les stigmates…et quand la beauté semble là, face à la Vénus de Botticelli, c’est une œuvre en miette, cassée qui donne la réplique au danseur dans une robe qui ne laisse bouger que la bouche et les doigts dans une posture de roi.

Le message est très clair : si le mouvement ne devient pas colère, s’il ne frappe pas, le monde et avec lui sa civilisation vont disparaître.

Alors, nous suivons cette manifestation d’un nouveau genre tout en prenant des chemins de traverse pour saluer par exemple La Belle Ferronnière. Le parcours est en réalité une boucle, comme les boucles que font d’ailleurs les danseurs et les danseuses.

Leurs danses sont propres à chacun.e. On retrouve les fondamentaux d’Anne Teresa : des vrilles vers l’arrière, des épaules qui entraînent le tout, des relâchements qui vont chercher le sol , des corps qui fondent en eux-mêmes. C’est super beau.

Mais si Forêt avait juste cherché la beauté en faisant dialoguer les œuvres et les corps, cela aurait été bien trop évident. La pièce va plus loin en interrogeant la place du public non pas comme un corps dansant, mais comme un corps acteur. Comme une partie prenante et apprenante.

Anne Teresa De Keersmaeker et Némo Flouret décident de décaler la posture de l’œuvre d’art augmentée, ils provoquent un manifeste, une urgence à suivre ces 11 danseurs et danseuses. Tout se joue entre Le Radeau de la Méduse et la Joconde, dans un pas de deux décalé dans l’espace et le temps. Entre un naufrage et un demi-sourire, l’espoir revient, la tempête se calme, il est temps de sortir du bois, serein.e.s et confiant.e.s à la fois.

Magistral.

3 Décembre, 7 Décembre, 8 Décembre, 10 Décembre 2022. Au Louvre.

Visuel : © Anne Van Aerschot

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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