Danse
Yvann Alexandre : “Bach dialogue avec les anges et démange les doigts et les pieds des danseurs”

Yvann Alexandre : “Bach dialogue avec les anges et démange les doigts et les pieds des danseurs”

22 December 2022 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Du 11 au 22 janvier 2023, le  festival de danse Trajectoires s’empare d’un large territoire allant de  Nantes à Saint-Nazaire. Le chorégraphe Yvann Alexandre dirige le théâtre Francine Vasse, l’un des partenaire de cette édition. Il nous parle de voyages, de Bach, et de villages…

 

Quel est le lien entre le théâtre Francine Vasse, que vous dirigez, et le  Festival Trajectoires ? 

Dès ma nomination en 2019 et l’arrivée de l’équipe à la direction, j’ai souhaité positionner ce théâtre de la Ville de Nantes comme une maison pour la création et un partenaire des autres acteurs culturels. Rejoindre le festival Trajectoires répond à ces deux enjeux. La programmation du Théâtre Francine Vasse – Les Laboratoires Vivants est pluridisciplinaire, dans laquelle la danse est en équité avec les autres disciplines esthétiques. Trajectoires est un temps fort, mais la danse s’inscrit au Théâtre Francine Vasse tout au long de la saison car elle a besoin de visibilité et d’engagement. Enfin, Trajectoires se construit dans une dynamique collective et bienveillante, et il est stimulant d’y participer et de travailler à la pluralité. 

Pouvez-vous me parler de Villes de Papier et de Cécile Loyer ? 

Villes de Papier, est une pièce qui s’attache à l’histoire de Karim Sylla, parti de Guinée à 13 ans et en déplacement durant 3 années. Le duo est porté par Karim et Sonia Delbost-Henry, et aborde la question de l’hospitalité pour les demandeurs d’asile.J’aime cette création pleine d’espoir et d’optimisme, et où la chorégraphe Cécile Loyer considère que c’est l’histoire de tous, nos histoires. Cécile Loyer dirige également un lieu de création artistique et son engagement d’artiste est d’une grande sincérité. La problématique de la « frontière » et la notion de partage avec le public irriguent sa démarche, avec de magnifiques correspondances avec ce que nous défendons.Lancer le bal de Trajectoires avec une création d’une chorégraphe, ce sujet et un format moins conventionnel pour une ouverture de festival (30 minutes et en famille) est important pour moi dans ce qu’il épouse le projet du Théâtre Francine Vasse : l’humain est le coeur et le projet des Laboratoires Vivants.

Pouvez-vous me dire si cette pièce reflète votre ligne programmatique ? 

La direction artistique du théâtre qui nous est confiée s’inscrit dans l’élan des liens. Les cartes blanches aux artistes, la programmation ouverte sur la création contemporaine, les fenêtres sur les festivals, sont autant d’élans pour vivre des expériences ensemble. Les Laboratoires Vivants prennent le large bien au?delà du bord de la scène, avec des propositions de correspondances artistiques avec Rufisque au Sénégal, un pont stimulant avec Hetsika Madagascar, et les coopérations Québec?France?Tunisie du réseau que nous avons mis en place ARCHIPEL. J’aime défendre l’idée que le Théâtre Francine Vasse ? Les Laboratoires Vivants, est un théâtre traversant et traversé, où les voyages artistiques et humains nous offrent l’élan des liens ! Villes de papier en est un magnifique reflet.

Comment percevez-vous Trajectoires dans le paysage chorégraphique ? 

Trajectoires est une réussite et une singularité. C’est un festival qui œuvre à la diversité, et par sa collégialité qui évite bien des étaux et des resserrements. Même l’édition COVID a démontré la force de ce qui réunit les partenaires et les démarches. Le succès public est indéniable, et Trajectoires s’est déployé dans ce qu’il y a de plus exigeant, mais aussi de surprenant ou d’humble. J’ai trouvé dès le départ l’enjeu de réunir un territoire très fort, et courageux de construire un festival dans un équilibre entre des premières pour des créations et des œuvres invitées qui ont déjà un parcours. C’est un festival qui valorise également l’existant et les liens durables. Les deux années qui viennent de se passer ont témoigné de la pertinence et de la nécessité d’un tel équilibre, et rappelle que nos trajectoires sont reliées.`

Vous êtes chorégraphe et dans votre travail la musique a une grande place. J’ai noté que Trajectoires allait accueillir  deux créations qui mettent Bach au centre :  Magdalena de Chloé Zamboni et Bach to 3D de Soizic Lebrat. Pouvez vous expliquer cette passion que les chorégraphes contemporains ont pour ce compositeur ? 

Il est vrai que dans mon travail de créateur depuis 30 ans, la musique a une place de choix, et avec un grand attachement fidèle et non exclusif pour Bach et Haendel.
 J.S Bach dialogue avec les anges et démange les doigts et les pieds des danseurs ! C’est un vaste infini du sensible et de force réunis. 
Quand j’ai imaginé la programmation du Théâtre Francine Vasse – Les Laboratoires Vivants pour Trajectoires, je trouvais intéressant de mettre en écho les deux démarches éloignées de ces deux artistes que nous avons accueillies en résidence technique au théâtre et qui ont travaillé à deux perspectives qui me semblent essentielles. Magdalena nous offre l’intimité, et la chorégraphe Chloé Zamboni invite le public à l’expérience de la divagation poétique dans une grande proximité. Pour Bach to 3D, en coréalisation avec Stereolux et le Pannonica, c’est un tout autre voyage qui s’annonce par l’immersion et l’expérience du son et la quasi invisibilité du corps ! Ressentir Bach et l’entendre autrement, c’est la force de ces deux propositions à découvrir.

De manière plus générale peut-être, mais pouvez-vous expliquer en quoi la musique permet justement de créer ce lien avec la création du geste dans un espace aussi vaste que l’est Trajectoires ? 

J’aime beaucoup votre question, dans le sens où la création chorégraphique et la musique sont autant de voyages. Là où il y a de l’espace, du vaste, il y a la place pour la rencontre. Là où il y a plusieurs portes, il est davantage permis de rentrer. Et là où nous sommes réunis, nous pouvons avancer.
Et si vous avez encore un peu de place, j’aime partager ces quelques mots de Peter Handke, Par les villages.  Ils m’accompagnent depuis que j’ai créé ma compagnie et chaque jour depuis. Je trouve qu’ils correspondent bien à Trajectoires.

“Joue le jeu. Menace le travail encore plus. Ne sois pas le personnage principal. Cherche la confrontation. Mais n’aie pas d’intention. Évite les arrière-pensées. Ne tais rien. Sois doux et fort. Sois malin, interviens et méprise la victoire. N’observe pas, n’examine pas, mais reste prêt pour les signes, vigilant. Sois ébranlable. Montre tes yeux, entraîne les autres dans ce qui est profond, prends soin de l’espace et considère chacun dans son image. Ne décide qu’enthousiasmé. Échoue avec tranquillité. Surtout aie du temps et fais des détours. Laisse-toi distraire. Mets-toi pour ainsi dire en congé. Ne néglige la voix d’aucun arbre, d’aucune eau. Entre où tu as envie et accorde-toi le soleil. Oublie ta famille, donne des forces aux inconnus, penche-toi sur les détails, pars où il n’y a personne, fous-toi du drame du destin, dédaigne le malheur, apaise le conflit de ton rire. Mets-toi dans tes couleurs, sois dans ton droit, et que le bruit des feuilles devienne doux. Passe par les villages, je te suis.”

 

Toute la programmation du festival Trajectoires est ici.

Visuel : ©Mathilde-Guiho

Article partenaire

“Les six Concertos brandebourgeois” d’Anne Teresa De Keersmaerker : Portrait de Rosas au Festival d’Automme
Maya Ruiz-Picasso, fille aînée de Picasso, est morte le 20 décembre à l’âge de 87 ans.
Avatar photo
Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration