Performance
Tilda Swinton porte Pasolini au Festival d’Automne

Tilda Swinton porte Pasolini au Festival d’Automne

09 December 2022 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Au cœur du quartier le plus populaire de Paris, Olivier Saillard et Tilda Swinton redonnent du corps aux costumes des grands films de Pier Paolo Pasolini sous la verrière glacée de la Fondazione Sozzani. 

Icônes

Olivier Saillard sait faire parler les vêtements. L’ancien directeur du Musée Galliera, aujourd’hui à la tête de la maison de chaussures Weston, a d’ailleurs redonné à Paris le goût des expos de mode (on se souvient du grandiose Balenciaga, l’oeuvre au noir), et ne cesse depuis 2012 de mettre en mouvement tous types de vestiaires.  Il est régulièrement invité du Festival d’Automne et c’est la quatrième fois que l’iconique actrice (Almodovar, Jim Jarmusch…) collabore avec lui : Eternity dress en 2013, Cloakroom, vestiaire obligatoire (2014), Sur-exposition (2016) et donc aujourd’hui Embodying Pasolini

Le peuple et l’élite

Le processus est celui d’un défilé. Il faut passer une porte cochère bien gardée au 22 rue Marx Dormoy. Alors que, tout près, des hommes vendent des cigarettes et des vêtements sur le trottoir, il est étourdissant de passer en une seconde du peuple à l’élite. La sensation est vertigineuse, d’autant que toute la filmographie de Pasolini a mêlé la beauté à la misère.  Le dispositif est celui d’un défilé de mode, où les hiérarchies sont maintenues. Les élu.e.s parmi les élu.e.s seront placé.e.s face au “podium” tracé à même le sol.

Quelques chanceux et chanceuses seront au premier rang le long de l’espace, les autres au second rang ou debout devront se contorsionner assis pour voir, ou bien tenir 1 h 45 sur leurs deux pieds dans une salle glacée.  Voici donc le public mis dans une posture inconfortable où la douleur est présente. Les chaises pliantes en bois sont extrêmement précaires et étroites. La distance avec les icônes, les stars, est assourdissante. Pasolini est partout, dedans, dehors. Le spectacle se mérite donc.

Et quel spectacle ! Ce qui se déroule est absolument génial et magnifique. L’actrice aidée d’Olivier Saillard et d’assistants va porter, au sens de soutenir, les costumes des acteurs et actrices des films. Elle pose les robes et autres tuniques devant elle, les enfile partiellement. Parce que Tilda Swinton est elle, elle devient, en un battement de cils et un pincement de lèvres, le personnage.  Par exemple Jocaste et sa célèbre coiffe et son paletot doré dans Oedipe Roi. Ce “défilé” est plus une séance d’essayage préalable au défilé, ou à une exposition,  réactive une dizaine de films : L’Évangile selon Saint Matthieu, Uccellacci e uccellini, Oedipe Roi, Porcherie, Le Décaméron, Les Contes de Canterbury, Les Mille et une nuits et bien sûr, le dernier film de Pasolini, Salò ou les 120 journées de Sodome. 

C’est bien ce dernier film qui est le climax du spectacle.  Saillard réactive notamment la mariée, qui a l’écran est entourée de corps nus. Le sujet du film est le sadisme, comme allégorie du fascisme. Il est d’une violence sans limite. Tilda Swinton est chargée des histoires et des récits racontés par ces oeuvres et autour de ces oeuvres.

Egalité

La performance est extrêmement construite et elle va, de façon très élégante et très ciselée, de l’unique au collectif. Les costumes deviennent accessibles, comme les interprètes. D’un coup d’un seul, la performance devient exposition pensée par l’œil et le talent de Saillard. La scène est magique. Le public déambule, se parle, les hiérarchies sont abolies, la fiction quitte l’espace. Ce qui est étonnant c’est la douceur, le calme qui surgit de Embodying Pasolini.  Cela vient vider l’écriture de Pasolini de ses violences et remettre les costumes à leur place :  des objets, des outils pour  soutenir le récit, conçus par Danilo Donati et réalisés par les Ateliers Farani, qui peuvent se déplacer, se regarder de façon indépendante. Par exemple, les costumes de Salò, montrés avec attention, éjectent la répulsion des crimes de torture et la saleté que montre Pasolini dans son chef-d’oeuvre. 

Tout se mélange. Le costume et le vêtement, le rôle et la réalité. C’est une expérience magistrale à vivre qui donne évidement une double envie : porter des grands manteaux en velours vert, et voir et revoir tout Pasolini.

Jusqu’au 10 décembre à la Fondazione Sozzani.

Visuel : ©Ruediger Glatz

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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