Politique culturelle
[Dossier] La réforme des intermittents du spectacle: où en est-on ?

[Dossier] La réforme des intermittents du spectacle: où en est-on ?

18 May 2015 | PAR Constance Delamarre

Le régime de l’intermittence, ce n’est pas bien compliqué à comprendre si on s’y penche sérieusement. Sauf qu’avec les chamboulements de l’an dernier, on ne sait plus trop où on en est dans la réforme. Débriefons. 

Réexpliquons le contexte

Pour être éligibles au régime spécifique de l’assurance-chômage (annexe 8 pour les techniciens et annexe 10 pour les artistes – spécificité qui n’est pas un privilège mais une façon de compenser la précarité de l’activité), les techniciens doivent réaliser 507 heures en 10 mois, contre 10,5 mois pour les artistes. Ce modèle est hérité d’une réforme du 26 juin 2003 – les intermittents avaient auparavant 12 mois pour réaliser ce nombre d’heures – afin de rendre l’accès au régime, dit coûteux, plus difficile. Cette réforme a engendré des contestations de la part des intermittents, et malgré leur colère, l’accord du 22 mars 2014 a reconduit ce dispositif. Les intermittents du spectacle ne demandent pas un retour total au modèle antérieur mais la possibilité de réaliser ces 507 heures en 12 mois avec examen des dossiers à date fixe, pour diminuer leur précarisation et réaliser des économies. Il est important de signaler que le protocole de 2003 a causé un déséquilibre entre le nombre de techniciens et d’artistes, les derniers étant moins nombreux que les premiers, n’arrivant pas au bout de leur nombre d’heures dans le temps imparti.

12893910904_404023c730_zEn février 2014, le MEDEF (Mouvement des entreprises de France), dans l’idée que la culture coûte cher, avait suggéré la suppression du régime des intermittents – suggestion qu’il avait déjà faite en 2003 et qui avait entraîné l’annulation du Festival d’Avignon. Les conventions de l’UNEDIC qui gère l’assurance-chômage, et particulièrement les annexes 8 et 10, ont donc été la cible de multiples négociations. Frédéric Hocquard, directeur d’Arcadi et ex-secrétaire national à la culture au Parti Socialiste, dans l’interview qu’il nous avait accordée le 27 février 2014, expliquait que les grandes sociétés américaines tentent d’imposer leur modèle économique à la culture pour en faire un bien marchand, et que ce qui n’est pas rentable doit disparaître. A cette époque, des baisses de budget accordées à la culture avaient été constatées, -4,7% en 2013 et -2% en 2014, ce qui avait fait marcher les intermittents dans toute la France les 10 février et 12 mars 2014, pour sauvegarder leurs emplois menacés.

Le 22 mars 2014, l’accord de l’UNEDIC a donc été reconduit, imposant également des délais supplémentaires de carence. Les intermittents ont exigé de nouvelles négociations, demandant à l’Etat de ne pas agréer cet accord. Des grèves importantes ont débuté le 4 juin 2014, accompagnées de réunions devant le Ministère de la Culture, d’une manifestation dans toute la France (Paris, Marseille, Toulouse, Montpellier…) le 16 juin, et d’une lettre de deux conseillers PS adressée à Manuel Valls, Premier Ministre depuis le 31 mars 2014. Du fait du nombre de directeurs et lieux culturels qui se sont adressés au gouvernement au nom des intermittents, l’Etat a alors nommé un médiateur, Jean-Patrick Gille, député socialiste de l’Indre et Loir. Celui-ci a proposé de mettre un frein à cette réforme en suppléant au délai de carence. Après réflexion, le gouvernement a accepté de rogner sur ce point mais a tout de même signé la convention de l’UNEDIC, qui est donc entrée en vigueur le 1er juillet 2014.

La Coordination des Intermittents et Précaires VS le Ministère de la Culture

La CIP (Coordination des Intermittents et Précaires) nous explique sur son site que la revendication principale des intermittents reste toujours la même: passer à 12 mois pour effectuer les 507 heures, fixer une date anniversaire de contrôle des dossiers, et créer une annexe unique ne séparant pas les artistes des techniciens. Elle met également en évidence les dangers d’une loi qui “sanctuariserait” les annexes 8 et 10. Le 2 mars 2015, la CIP a rencontré Fleur Pellerin, Ministre de la Culture, qui révèle que “cette “sanctuarisation” des annexes devrait s’insérer dans la “loi sur le dialogue social”, qui sera préparée par le ministère du travail. Des négociations devraient donc commencer sous peu, le vote se déroulant durant l’été.” Un communiqué de presse datant du 21 avril 2015, intitulé Feuille de route pour refonder le régime de l’intermittence, nous explique cette fameuse loi sur le dialogue social, ou Loi Rebsamen:

Tout d’abord, l’existence de règles spécifiques pour les professions concernées sera inscrite dans la loi. C’est l’objet de l’article 20 du projet de loi présenté le 22 avril en Conseil des ministres et prochainement soumis au Parlement pour une adoption à l’été. Dès la prochaine négociation de la convention d’assurance chômage, les professionnels du spectacle par l’intermédiaire de leurs représentants participeront, dans le cadre du processus inscrit dans la loi, à la définition des règles qui leur seront applicables sur la base des orientations fixées par les partenaires sociaux au niveau interprofessionnel.
Parallèlement, les partenaires sociaux du spectacle vont ouvrir des négociations afin de mieux encadrer le recours au contrat à durée déterminée d’usage et de lutter contre la précarisation de l’emploi. François Rebsamen et Fleur Pellerin les réuniront pour lancer ce processus dans les prochaines semaines.
Par ailleurs, une conférence pour l’emploi dans les métiers du spectacle sera organisée à l’automne pour développer l’emploi et renforcer la pérennisation des contrats de travail. […]
Avec cette feuille de route, le gouvernement affirme son ambition de donner aux artistes et techniciens du spectacle qui font vivre la politique culturelle de la France, un cadre social refondé qui permette de sortir durablement des crises périodiques connues par leur régime.

Pour la CIP, le gouvernement persiste à séparer les intermittents du spectacle du reste des chômeurs. De plus, le recours au contrat à durée déterminé d’usage pour lutter contre la précarisation de l’emploi, ne fait qu’entraîner une “déprofessionalisation” du secteur. En effet, les intermittents qui n’auraient pas réussi à cumuler le nombre suffisant d’heures, combleraient le manque avec des emplois, souvent précaires, du régime général.

13758857265_897c3285cb_oLa CIP condamne également les nouveaux droits à l’allocation chômage: les droits rechargeables et le droit d’option. Compliqués à comprendre, l’article de L’Express du 15 avril 2015 nous l’explique plutôt bien, contrairement au site de Pôle Emploi. Les droits rechargeables, instaurés en octobre 2014, “permettent aux chômeurs de garder une partie de leurs indemnisations en cas de reprise d’emploi. Les anciens droits non épuisés des précédentes périodes de chômage […] sont désormais repris systématiquement. Mais voilà : lorsqu’un chômeur sort d’une activité plus rémunératrice que les précédentes, l’allocation qui lui est versée dans un premier temps est l’ancienne, moins élevée que ce qu’il pouvait espérer toucher.” Et depuis le 1er avril 2015, la mise en place du droit d’option “permet à des demandeurs d’emploi qui ont travaillé quatre mois au minimum de toucher, sans attendre, le versement de l’allocation la plus récente et la plus élevée, tout en abandonnant définitivement les anciens droits modiques. […] S’il permet de bénéficier immédiatement d’une allocation mensuelle plus élevée, il réduit de fait la durée d’indemnisation, mais aussi le capital – montant total des allocations qui sera versé.” Des droits qui paraissent louables sur le papier mais qui sont finalement risqués et maintiennent les demandeurs d’emploi – dont les intermittents du spectacle qui sont concernés par ces droits – dans une situation précaire.

Il est intéressant de constater le manque de clarté, que ce soit de la part de Pôle Emploi ou du Ministère de la Culture. La CIP confirme que les salariés de Pôle Emploi ont pour directives de complexifier le mode opératoire, rendant la démarche inaccessible pour les demandeurs d’emploi voulant bénéficier de leurs droits, comme le confirme l’article de l’Humanité du 28 avril dernier. Il suffit simplement de lire l’introduction de Pôle Emploi concernant la reprise des droits à l’allocation chômage pour comprendre cette difficulté de compréhension: “La reprise des droits est le versement d’un reliquat de droits issu d’une précédente période d’indemnisation non épuisée”. Aussi, le 24 avril 215, la CIP a déposé sur sa page Facebook une lettre ouverte à M. Destival, directeur de l’UNEDIC rapportant la difficulté de décrypter les textes qui régissent l’indemnisation chômage, empêchant ainsi la bonne information des demandeurs d’emploi sur leurs droits.

La CIP précise aussi qu’actuellement le Pôle Emploi ne fait que contrôler mais n’accompagne pas les chômeurs, et que les heures d’interventions artistiques ne sont pas prises en compte. En mars dernier, Pôle Emploi a réclamé près de 160 000 euros à dix intermittents pour cause de trop perçu. Un article de Ouest France nous explique la situation: l’agence Pôle Emploi de Caen “considère que certains contrats de travail n’entrent pas dans le cadre des activités ouvrant droit aux annexes de l’intermittence. Les sommes demandées vont de 8000 € à 25 000 € par personne.”  En effet, l’agence estime qu’une partie des heures effectuées par ces artistes correspondraient à de l’accompagnement de pratiques artistiques amateurs, activités faisant pourtant partie du métier. Et pour récupérer cet argent, Pôle Emploi procède à des retenues sur les allocations, ce que mettent en cause les intermittents devant la justice. L’audience qui avait été reportée au 7 mai 2015 suite à la demande de l’avocat de l’agence, est de nouveau décalée au 4 juin. Une quarantaine d’intermittents et de sympathisants se sont retrouvés en musique devant le Tribunal de grande instance de Caen le matin du 7 mai, répondant à l’appel de la KIC (Koordination des Intermittents du Calvados) en soutien aux dix intermittents.

L’antagonisme continue

La protestation et les revendications se poursuivent au niveau national. Le Théâtre national de Chaillot annonce par exemple sur son site et dans son hall le soutien qu’il porte au régime de l’intermittence:

Mesdames, Messieurs,

Les spectacles que nous avons le plaisir de vous présenter dans notre programmation sont le fruit du travail d’artistes et de techniciens dont beaucoup relèvent du régime des intermittents.

Ce dispositif ne constitue en rien un régime de faveur ou de privilège dont bénéficie une catégorie particulière de travailleurs mais il garantit au contraire les conditions minimum indispensables à la continuité de l’activité de recherche et de préparation du travail de création sans laquelle les œuvres artistiques ne pourraient voir le jour.

Ce dispositif fait l’objet aujourd’hui d’une concertation entre les différents partenaires sociaux. Une commission ad hoc a été mise en place et rendra ses propositions d’ici la fin 2014.

Le régime de l’intermittence est non seulement légitime mais vital pour le secteur du spectacle vivant; le Théâtre National de Chaillot souhaite qu’un accord confirmant les droits des artistes et des techniciens du spectacle soit conclu au plus vite.

Nous espérons votre compréhension et votre soutien.

Nous vous souhaitons, Mesdames et Messieurs, de très belles représentations.

Didier Deschamps
Directeur du Théâtre National de Chaillot

Récemment, lors de la 27ème cérémonie des Molières au théâtre des Folies Bergères, le comédien Sébastien Thiéry a également interpellé notre Ministre de la Culture Fleur Pellerin, au nom de la CGT Spectacle, afin de défendre le statut d’intermittent pour les auteurs dramatiques du secteur public, devant être renégocié. L’auteur de la pièce Deux hommes tous nus est tout simplement entré sur scène dans le costume d’Adam, en précisant qu’il était possible de “faire du théâtre sans costumière, mais pas sans auteur”, comme nous le rappelle l’article de Libération. Le comédien a évidemment évoqué les renégociations des annexes 8 et 10 et interpellé directement la Ministre avec la question suivante : “Un système mutualisé pour aider les plus fragiles d’entre nous. Et quand je parle des plus fragiles je pense évidemment aux auteurs dramatiques. Savez-vous Madame la ministre que les auteurs vivants sont les seuls dans toute la profession à ne pas bénéficier de l’assurance chômage?”. Une question qui méritait d’être posée, mais l’apostrophe reste à ce jour sans retour de la part du Ministère (que nous avons tenté de contacter en vain à ce sujet).

Lors de la précédente cérémonie des Molières, des intermittents étaient également intervenus pour lutter contre la nouvelle convention de l’assurance chômage. Le comédien Nicolas Bouchaud avait notamment décerné au Ministre du Travail François Rebsamen, le “Molière de la meilleure trahison à François Rebsamen, ministre du Travail, pour son rôle d’employé du Medef” (France 3 – Régions). Ce prix avait pour objectif d’exiger l’engagement du ministre à ne pas agréer l’accord, sous menace d’une grève au Printemps des comédiens, le grand festival de théâtre de Montpellier, dès le lendemain.

Suspens(e) pour les festivals ? 

Nos festivals d’été ont un rayonnement culturel international. L’été dernier, la grève a touché bon nombre de ces manifestations, comme effectivement Le Printemps des Comédiens, mais aussi Montpellier Danse ou encore Uzès Danse dont la 19ème édition a même été entièrement annulée. Une menace de grève a également plané au dessus du ciel d’Avignon en 2014, dont le festival est l’un des plus importants au monde pour le théâtre et le spectacle vivant contemporain. Dans une interview donnée le 9 juin 2014 au comédien Bruno Paternot, il nous avait expliqué qu’il serait “impossible que l’économie survive à l’annulation des Chorégies, du Festival d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence, du Festival d’Avignon ou des Eurockéennes”.

14636584634_d12d618940_z80% des salariés du Festival IN d’Avignon avaient voté pour son maintien, mais 12 représentations ont malgré tout été annulées. Les compagnies du OFF avaient également voté contre la grève, car le OFF représente le “seul marché du théâtre” selon son président Greg Germain. Un communiqué de presse avait également rappelé que les compagnies étaient dans la grande majorité auto-produites et que les frais liés à leur séjour (hébergement, lieux, répétitions, communication, etc.) étaient déjà payés. Le Festival d’Avignon a donc bien eu lieu en 2014. Mais 57,8% des salariés qui avaient voté contre l’annulation du festival, ont voté pour une grève massive le 4 juillet, ajoutant la liberté de manifester pendant les représentations. Ainsi la CIP menaçait de quitter les spectacles si des ministres y assistaient, jugés pour avoir laissé des syndicats décider entre eux des règles du chômage. Cette tournure radicale allant jusqu’à créer une liste noire pour les membres du gouvernement et aussi pour les journalistes, n’a pas été soutenue pas tous. Même si cette édition a été dans la pluridisciplinarité et dans la circulation de la pensée, le bilan a été entaché par les grèves – et le mauvais temps.

Face à la baisse des dotations de l’Etat, les collectivités locales ont réduit leurs subventions pour les manifestations culturelles. En mars, la médiatrice culturelle Emeline Jersol avait pointé l’annulation, voire la suppression, d’une centaine de festivals et structures culturelles par le biais d’une “cartocrise“. 195 annulations répertoriées à la date du 8 mai 2015. Le site Paris Normandie nous révèle dans un article du 20 avril 2015 que le Festival d’Avignon a été amené à fermer la Carrière de Boulbon comme lieu de représentation, et à réduire sa durée de deux jours à cause d’une baisse de subvention de 5%. Le Printemps des comédiens a quant à lui dû réduire sa programmation 2015 d’une semaine, fragilisé financièrement par la grève des intermittents du spectacle l’an dernier. Les autres festivals qui avaient été perturbés l’été dernier – Uzès Danse par exemple – sont bien prévus pour cet été. Espérons donc que le temps soit clément.

© Philippe Leroyer / Charlotte Henard / Caroline Léna Becker

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Constance Delamarre

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