Danse
Lumineuse ténacité de Michèle Murray  à Montpellier danse

Lumineuse ténacité de Michèle Murray à Montpellier danse

02 July 2022 | PAR Gerard Mayen

 

 

Intelligence de composition et intelligence d’interprétation illuminent Empire of Flora, nouvelle pièce de la chorégraphe montpelliéraine

Jean-Paul Montanari, programmateur du festival Montpellier danse, compte parmi les mainteneurs de la grande tradition cunninghamienne, saluant l’influence fondatrice du maître new-yorkais sur une grande lignée de la danse contemporaine savante occidentale. On se doute que cela joue dans son attachement au travail de Michèle Murray. Cette chorégraphe de la belle maturité est américaine d’origine, s’est notamment formée auprès de Merce Cunningham. Aujoud’hui c’est depuis Montpellier (une ville qui compte pas moins d’une vingtaine de compagnies significatives) qu’elle développe un travail bellement indifférent à tous les effets de mode.

 

Empire of Flora est sa toute dernière création, pour la quarante-deuxième édition du festival Montpellier danse. Sur scène, on y retrouve une femme aux platines, et quatre hommes au plateau. On adhère complètement au commentaire de Michèle Murray à ce propos : « Cette répartition n’ a pas été pensée délibérément comme telle (selon des problématiques de genre ou autre) ; même si cette solution peut paraître heureuse ».

 

Cette citation nous semble résonner subtilement avec une logique d’ensemble de ce travail : Empire of Flora paraît magnifiquement maîtrisée, au comble d’une intelligence de la composition. Mais tout autant il en découle une texture simplement lumineuse et légère. La composition qu’on est en train d’évoquer tisse deux principes, qu’on pourrait croire antagoniques : d’une part la fixation de règles très exactes dans une écriture pré-donnée de la danse, d’autre part une place toujours laissée à l’écriture instantanée.

 

Pour en revenir à Merce Cunningham, on se souvient de cette réflexion où il indique, en substance, préférer déployer sur scène des dispositifs qui permettent à la beauté du monde de s’y révéler, et non pas chercher à imposer sur scène des formes censées représenter la beauté. C’est ce qu’on ressent dans Empire of Flora, et qui tient alors à une délicate intelligence de l’interprétation (partant, de la direction de danseurs propre à cette chorégraphe, qui aime souligner la grande confiance qui caractérise la relation, artistiquement très mûre, entre ces quatre jeunes hommes et elle-même).

 

A eux s’adresse une exigence de rigueur technique, en même temps que revient une grande responsabilité de choix dans l’écriture instantanée. La pièce les fait s’installer très patiemment dans sa texture ; de même, à maintes reprises, observer de longues poses. Ils génèrent cette pièce, tout autant qu’ils la laissent vivre. On n’y trouve jamais rien d’une surenchère spectaculaire, qui surcharge tant d’autres pièces de danse, en piégeant la relation avec un.e spectateur.ice assujetti à une émotion prédictive (n’est-ce pas, la Batsheva?)

 

Les évolutions sont néanmoins enlevées, déployées, dans une grande aisance de gestion gravitaire. Les gestes ont le temps d’être par eux-mêmes. L’essentiel des partitions se joue en individuel – hormis quelques amorces en duo, ou plus, et portés) – dans une danse debout, dans une circulation d’ensemble assez cosmique. Cette danse s’entend clair sans se faire volubile – à l’exception de l’un des interprètes qui ne peut s’empêcher de rajouter une cuillerée de chantilly en terminaison du geste, pour continuer d’insister sur le mode pénible du vous avez vu, je suis danseur et je fais de la danse. Or justement, et fort heureusement, l’essentiel réside dans la mise en co-présence active de personnes développant simplement, justement, la finesse d’un langage. Rien à souligner.

 

La relation a la musique a beaucoup à y voir. Issue de la bouillonnante scène techno du cru, la DJ Lolita Montana produit un set bellement aérien, dénué de tout cliché, même si les sons engagés, par nature, inspirent une énergie rayonnante. Oui mais en tout bon principe cunninghamien, les quatre danseurs n’ont surtout pas la mission de venir singer la musique. Certes, ils emprunteront eux aussi le chemin d’une élévation progressive, asymptotique, mais qui relève avant toute chose d’une ample respiration, translucide et respectueuse.

 

Devant Empire of Flora, on aura ressenti que cette esthétique vit quelque peu coupée du temps, voire du monde, comme entretenue dans un jardin des élégances. Mais dans un paysage de la danse qui paraît tellement occupée à se chercher sans trouver, cette forme de distance a quand même fini par nous paraître infiniment juste, tenace et peu remplaçable.

 

Visuel :© Ronan MULLER

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Gerard Mayen

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