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[Critique] « Enemy » exercice de style aussi brillant que vain par le réalisateur de Prisoners

[Critique] « Enemy » exercice de style aussi brillant que vain par le réalisateur de Prisoners

30 August 2014 | PAR Gilles Herail

Retrouvant Jack Gyllenhaal après Prisoners, Denis Villeneuve joue une nouvelle fois au petit malin, en manipulant son spectateur et en lui proposant une blague volontairement absurde mais brillamment réalisée. Un thriller étouffant, dont le suspense déroutant séduit parfois, mais qui pêche peut être par un léger sentiment de supériorité envers les humbles spectateurs que nous sommes.

[rating=2]

Synopsis officiel: Adam, un professeur discret, mène une vie paisible avec sa fiancée Mary. Un jour qu’il découvre son sosie parfait en la personne d’Anthony, un acteur fantasque, il ressent un trouble profond. Il commence alors à observer à distance la vie de cet homme et de sa mystérieuse femme enceinte. Puis Adam se met à imaginer les plus stupéfiants scénarios… pour lui et pour son propre couple.

Incendies posait les bases de la filmographie naissante de Denis Villeneuve. Un cinéma de mise en scène, précis, robotique, sachant ménager la tension et le drame avec une froideur glaciale. Un cinéma se perdant aussi dans des aspects très théoriques et des rebondissements de scénario improbables pour à tout prix manipuler son spectateur. On lui préférait donc Prisoners, moins dans l’esbroufe, mais terriblement efficace dans le genre du polar poisseux. Enemy attaque un nouveau genre, le suspense psychologique, mais retrouve les défauts de son premier film (Enemy a d’ailleurs été tourné avant Prisoners). Nous voici donc dans la peau d’un prof de fac un peu névrosé, utilisé comme un sextoy par une Mélanie Laurent que l’on verra rarement habillée, qui découvre par hasard son sosie parfait. Passé une première phase de curiosité malsaine à la limite du harcèlement où il va tenter d’approcher cet improbable jumeau, le personnage subit une véritable descente aux enfers, incapable de se confronter à l’inacceptable idée de ne plus être unique. Jack Gyllenhaal est comme toujours parfait, jonglant à merveille entre les personnalités des doubles et participant beaucoup à la tension glauque du film.

Le deuxième protagoniste est bien sur Denis Villeneuve lui-même qui joue avec un plaisir évident toutes les gammes du film à suspense, trouvant toujours le bon cadrage, incrustant des images fantomatiques qui emmènent le film vers un surréalisme obscur dans une ambiance musicale dissonante, stressante, intrigante. L’exercice de style est bien exécuté mais traîne en longueur car le réalisateur a décidé de créer du mystère partout, de manière artificielle, sans réellement se soucier de son sujet. En cherchant Lynch pour l’onirisme, Fincher pour la schizophrénie et Nolan pour la complexité du scénario, Villeneuve oublie parfois de faire son film. Un long très court, qui s’arrête brutalement, sur un dernier pied de nez, un poil immature et qui fait sourire plus qu’autre chose. Il faut donc accepter de s’être une nouvelle fois fait entourlouper par un réalisateur coutumier du fait. Le film joue sur nos attentes et les questionnements qu’il suggère pour mieux se délecter de notre frustration. Cette manipulation ludique aurait pu nous plaire mais Enemy sent un peu trop fort l’auto-satisfaction. Certains y verront surement des messages cachés et de nombreuses références et Enemy a donc au moins le mérite de faire parler.  A défaut d’être un réel bon divertissement comme avait pu l’être le récent Stoker, aussi bizarre, aussi pervers, aussi léché, mais bien plus enthousiasmant.

Gilles Hérail

Enemy, un film canadien de Denis Villeneuve avec Jack Gyllenhaal et Mélanie Laurent, durée 1h30, sortie le 27 août 2014

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Gilles Herail

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