Performance
“Somnia”, l’épique randonnée chorégraphique et shakespearienne d’Anne Teresa et Jolente de Keersmaeker

“Somnia”, l’épique randonnée chorégraphique et shakespearienne d’Anne Teresa et Jolente de Keersmaeker

30 May 2019 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Le kunstenfestivaldesarts adore sortir des sentiers battus. Et c’est donc dans le parc immense du château de Gaasbeek, en pleine Flandre, que les 44 danseurs en formation à P.A.R.T.S nous ont pendant près de quatre heures, entraînés au cœur de la forêt dans un songe d’une nuit fraîche de printemps. Dément.

D’Anne Teresa de Keersmaeker on sait la passion pour la nature, elle avait convoqué la Cour d’Honneur à 4 heures du matin pour attendre le lever du jour avec Cesena. On sait également sa fine lecture des Shakespeare. Dans le chef-d’oeuvre Golden hours, les corps incarnaient sans mot As you like it. C’est donc naturellement que s’emparer d’Un songe d’une nuit d’été apparaît évident pour l’immense chorégraphe, ici en compagnie de sa sœur, Jolente de Keersmaeker, qui intervient à la mise en scène.

L’histoire vous la connaissez : Thésée va épouser Hippolyta. Égée souhaite marier sa fille Hermia à Démétrius. Mais Hermia aime Lysandre et s’enfuit dans les bois avec lui. En parallèle, Héléna amoureuse de Démétrius s’allie à lui pour les poursuivre. Dans la forêt, le roi et la reine des Elfes se disputent, Puck se plantera de sort, une pièce de théâtre dans la pièce aura lieu, et comme toujours chez le grand Will, le sens dessous dessus sera inversé et chacun épousera sa chacune (ou son chacun).

Et, c’est ce qui se passe, en conditions réelles. Le parc offre un plateau de 49 hectares qui se compose d’une prairie, d’un lac, de sous-bois, d’escaliers à pic. Autant dire, une ère de jeu parfaite pour le Songe. Comme d’habitude, avec les chants médiévaux pour Cesena (2012), Bach pour Partita 2 (2013), Gérard Grisey pour Vortex Temporum (2014), ici, on commence par écouter avant de voir. Et c’est au son de la flûte que nous avançons, guidés par « The fairy queen » de Purcell.

L’utilisation de cet espace gigantesque est parfaitement maîtrisé. 

Il n’est pas question ici de représenter, jamais chez Anne Teresa, mais d’incarner dans une boucle pas tout à fait close. Le cercle est sa forme, celle qu’elle dessine à la craie, ici, elle le retrouve dans des courses folles où les interprètes, en bleu de travail campent par groupe un personnage, comme si des chœurs antiques étaient chaque protagoniste. La direction des artistes provoque des folies pures. L’utilisation de cet espace gigantesque est parfaitement maîtrisé. 

Il y a cette idée de les faire glisser le long des contrebas du château provoquant une danse reliée à la terre, il y a cette autre idée de les faire déclamer en « duo » de part et d’autre du lac ou de les faire danser en marchant. Le texte très allégé est une fusion du Songe et de Somnium, une nouvelle de Johannes Kepler, un texte fantastique du XVIIe siècle sur les planètes.

Et justement l’ambiance devient vite fantastique au fur et à mesure que la nuit tombe et que nous glissons, inquiets dans les bois. La danse se fait presque invisible, réduite à des bruissement dans les feuilles avant d’exploser à la lumière des lampes de poches. Et la beauté explose quand les mariages ont lieu… 

L’occasion est juste folle de rencontrer l’avenir de P.A.R.T.S. Les interprètes sont déjà ultra formés et prouvent là leurs capacités à interagir avec un décor en mouvement. Le théâtre laissera pleinement place à la danse pure pour renouer avec le cercle, les suspensions et les vrilles dans une liberté qu’impose le terrain. On sent ici la personnalité de chacun dans des pas de deux brillants qui arriveront quand le sort aura été défait et refait dans le bon sens (merci Puck !).  Et pour le coup, cela est  neuf chez Anne Teresa, on aura vu hier soir des tentatives très libres, comme un pas de deux inspiré du voguing, au rythme des tambours presque médiévaux.

Le temps long est un allié ici qui épuise, étire avant de rassembler. Le spectacle inscrit des images rétiniennes, comme cette haie d’honneur éclairée par les danseurs qui laissent passer deux par deux les 300 spectateurs. Ou celle qui voit le mouvement naître juste parce qu’un danseur demande « suivez-moi ».  Mais aussi la vision du public, doudoune et pour beaucoup, chaussures de marche aux pieds qui tient la distance en grignotant des barres de céréales.

La performance est aussi baroque que contemporaine, aussi danse que théâtre, elle est une communion intense qui saura trouver le calme. On rêve de voir le spectacle programmé dans un parc francilien, qui sait ! A Versailles, cela aurait du cachet !

Avec : Rita Alves (PT), Maureen Bator (FR), Cassandre Cantillon (BE), Calvin Carrier (UK), Wai Lok Chan (HK), Aminata Diallo (FR), Synne Enoksen (NO), Papis Faye (SN), José Fernandez (ES), Carolina Ferreira (PT), Némo Flouret (FR), Rafael Dos Santos (BR), Jonas Gineika (LT), Tessa Hall (NZ), Hanako Hayakawa (JP), Hyeonseok Lee (KR), Thomas Higginson (UK), Mei-Ning Huang (TW), Cheyenne Illegems (BE), Keren Kraizer (IL), Georges Labbat (FR), Robson Ledesma (BR), Eimi Leggett (JP), Ivan Lucadamo (ES), Lydia McGlinchey (AU), Audrey Merilus (FR), Vasco Mirine (MZ), Fouad Nafili (MA), Azusa Namba (JP), Timothy Nouzak (AT), Stanley Ollivier (FR), Alban Ovanessian (FR), Jean-Baptiste Portier (FR), Margarida Ramalhete (PT), Luis Ramirez Munoz (CO), Myriam Rosser (ES), Julia Rubies (ES), Cintia Sebök (HU), Joshua Serafin (PH), Mariana Silva (BR), Judith Van Oeckel (BE), Mooni Van Tichel (BE), Gustavo Vieira (BR), Mamadou Wague (FR).

Le spectacle est complet dans le cadre du Kunsten, jusqu’au 1er juin, des listes d’attente sont organisées. Il est prolongé jusqu’au 6 juin, dans le cadre de la programmation du Kaai. Infos et réservations 

Visuels :

Jour : ©Michel Petillo 

Nuit : © Anne Van Aerschot

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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