Théâtre
“Fantine ou le désir coupable”, une démonstration de théâtre de marionnette précis et maîtrisé

“Fantine ou le désir coupable”, une démonstration de théâtre de marionnette précis et maîtrisé

29 May 2023 | PAR Mathieu Dochtermann

Fantine ou le désir coupable, c’est une adaptation en théâtre de marionnette de ce personnage décrit au tout début des Misérables, la mère de Cosette. Avec l’élégance du verbe du grand Hugo, ce spectacle maîtrisé, qui fait l’économie des fioritures pour se focaliser sur l’essentiel, fait sentir toute l’horreur de la condition des plus indigents dans une société où ils sont livrés en pâture à ceux qui veulent les exploiter jusqu’au bout. Glaçant, sobre et impeccablement tenu.


Des Misérables, on retient souvent surtout les personnages de Valjean, Gavroche et Cosette. Pourtant, ce monument de la littérature contient une riche galerie de personnages qui sont autant d’occasions pour Hugo de faire la critique acerbe de la société qu’il dépeint – et qui sont l’occasion pour nous de réaliser que nous n’avons pas fait tant de progrès en deux siècles. Fantine, c’est une jeune femme du peuple dont l’exceptionnelle beauté va l’exposer à être courtisée puis trahie lorsqu’elle tombe enceinte. Ayant accouché de Cosette, prise à la gorge par les exigences financières des époux Thénardier qui ont accepté de recueillir l’enfant, c’est un personnage dont la trajectoire impitoyablement descendante est d’autant plus poignante qu’elle possède une âme incomparablement pure.

Pour servir cette histoire tragique, Alain Blanchard choisit la sobriété. Peu de décors, une table de manipulation et un castelet-boudoir à fond de scène qui servira quand Fantine finira par se prostituer, après avoir vendu ses cheveux et ses dents – “Une fille du peuple ne peut donner que ce qu’elle a,” commentera-t-elle. Presque pas de décor, des lumières qui mettent précisément en valeur comédiens et marionnette, sans fioritures, la musique qui reste en retrait et s’efface devant le texte et la manipulation. Car le parti-pris central ici est de faire porter le rôle de Fantine par une marionnette, et, au vu des épreuves terribles que le personnage doit traverser, et des transformations physiques infamantes qui jalonnent sa descente aux enfers, le choix paraît tout à fait pertinent. La marionnette, d’ailleurs, est de très belle facture, fruit du travail d’Einat Landais, une constructrice bien connue des amateurs entendus.

A côté de la marionnette, le comédien Jérôme Soufflet incarne à lui seul tous les hommes de la pièce, une galerie de “salauds”, de son propre aveu, depuis Tholomyès, l’amant bourgeois qui se débarrasse de Fantine sitôt devenue encombrante, jusqu’au proxénète qui l’introduira dans l’univers de la prostitution avant de la lâcher quand elle tombe mortellement malade. Un enchaînement de rôles difficile à négocier. Derrière la marionnette, Mélanie Depuiset assure la manipulation avec finesse, se faisant complètement oublier tandis qu’elle parle pour Fantine, avec une restitution précise et nuancée du texte. La comédienne assure également l’interprétation des autres personnages féminins, qui ont leur importance car ils ne contribuent pas peu à l’abaissement progressif de Fantine, médisant d’elle, la jalousant, ne manquant pas une occasion de lui faire du tort. Ce qui n’empêche pas certains personnages secondaires féminins d’être bien moins manichéens, telle cette Soeur Simplice déchirée entre la rigueur de la justice et les nécessités de la charité.

Le contenu est terrible, la chute dramatique, et même si la langue de Victor Hugo est superbe, et très bien servie par les interprètes, on ne peut s’empêcher de frissonner devant le sort terrible qui est celui de Fantine. Cette dernière est certes victime de sa situation de femme dans une société qui est construite pour l’agrément des hommes ; mais elle est également victime de sa situation de prolétaire, de fille du peuple, sans aucune fortune ni aucun appui, dans une société faite pour l’épanouissement de la bourgeoisie. Et cette double condition, cette double injustice, Hugo la montre avec une impitoyable clarté pour son époque, mais n’est-elle pas encore terriblement vraie de nos jours ?

Fantine ou le désir coupable possède tout ce qui fait une belle pièce de théâtre : un texte avec une langue forte, une histoire claire avec de fortes résonances contemporaines, une interprétation techniquement impeccable. Le fait que la mise en scène fasse tout pour s’effacer derrière le texte et le personnage n’est pas simplement un signe de sobriété : c’est un signe d’élégance.

Cette pièce jouera dans le cadre de la Biennale Internationale des Arts de la Marionnette, accueillie au Théâtre… Thénardier, à Montreuil, le 30 mai à 20h.

GENERIQUE

D’après Victor Hugo
Mise en scène : Alain Blanchard
Marionnette : Einat Landais
Musiques : Bratsch
Avec : Mélanie Depuiset et Jérôme Soufflet

 

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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