Marionnette
Leçon d’émancipation en marionnettes : “La Simplictà Ingannata” de Marta Cuscunà

Leçon d’émancipation en marionnettes : “La Simplictà Ingannata” de Marta Cuscunà

20 May 2023 | PAR Mathieu Dochtermann

Le Mouffetard CNMa – Théâtre de la marionnette à Paris programmait dans le cadre de son festival BIAM plusieurs représentations de La Semplicità Ingannata de l’italienne Marta Cuscunà. Un spectacle de marionnettes pour adultes interprété en solo où la simplicité des moyens mis en œuvre contraste avec la complexité du texte et du sujet : l‘émergence d’une communauté de femmes autonomes qui tinrent tête aux institutions de l’Église dans l’Italie du XVIe siècle.

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Avec La Semplicità Ingannata, la toute jeune Marta Cuscunà démontrait en 2012 que la valeur n’attend décidément pas toujours le nombre des années. La reprise du spectacle à l’occasion du focus proposé dans la Biennale International des Arts de la Marionnette à Paris était l’occasion de le mesurer. La maturité du sujet et de son traitement sont évidents : une thématique engagée, une histoire méconnue, celle des Clarisses du Couvent d’Udine qui s’émancipèrent pendant une parenthèse de temps des dogmes d’une société patriarcale où elles n’auraient jamais dû connaître un destin autonome, une construction du spectacle qui oscille entre narration et interprétation de scènes dialoguées.

En fait de marionnettes, la longue scène d’exposition s’en passe totalement, Marta Cuscunà interprétant elle-même plusieurs jeunes femmes de l’époque pour poser le contexte, expliquer leur condition, montrer le fonctionnement oppressif – et en partie hypocrite – qui caractérise cette époque aux portes de la Renaissance. Les marionnettes n’arrivent en jeu que plus tard : six marionnettes de nonnes dudit couvent, posées sur une table à cour, assez peu mobiles, et une marionnette de prélat réduit à une tête au teint maladif et aux yeux exorbités manipulée à bout de bras. On retrouve là la marque de Marta Cuscunà : une manipulation économe, extrêmement précise, qui donne avant tout de l’espace à la parole dans une mise en scène dépouillée au décor réduit à presque rien.

Le texte fait donc tout, puisque tout est construit pour tourner autour de lui. Malgré la barrière de la langue – et l’exercice délicat qui consiste à regarder à la fois le surtitrage et le jeu au plateau – on peut confirmer la solidité de l’artiste dans son jeu d’interprète : une langue fluide, une scansion percutante, une projection adaptée, c’est du travail d’orfèvre. Néanmoins, la densité du texte, surtout compte tenu de la sobriété en termes de signes visuels et en termes de mouvement, conjuguée au débit rapide de la comédienne, rend l’histoire très dense et un peu difficile à suivre, surtout quand elle consiste en un exposé de la société de la fin du Moyen- ge italien. On s’y perd un peu, on peut facilement décrocher même, avec heureusement la possibilité de se rattraper aux passages plus dialogués, notamment lors du (premier) procès fait aux nonnes pour tenter de faire déclarer hérétiques leurs pratiques trop modernes, scène brillamment écrite et non moins brillamment interprétée..

Un spectacle riche, donc, avec un jeu impeccable, qui demande une grande faculté d’attention, et doit certainement s’apprécier beaucoup mieux quand on a une parfaite maîtrise de la langue de Dante.

GENERIQUE

De et avec : Marta Cuscunà
Librement inspiré de Lo spazio del silenzio de Giovanna Paolin, (Ed. Biblioteca dell’Immagine, 1998)
Assistant : Marco Rogante
Création lumières : Claudio “Poldo” Parrino
Création son : Alessandro Sdrigotti
Régie plateau, son et lumières : Marco Rogante et Alessandro Sdrigotti
Réalisation décor : Delta Studios et Elisabetta Ferrandino
Réalisation costumes : Antonella Guglielmi
Traduction, surtitrage : Federica Martucci

Photo : © Alessandro Sala Cesuralab

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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