Performance
Quand la performance s’empare des sujets populaires

Quand la performance s’empare des sujets populaires

08 June 2013 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Parler d’une tendance serait abusif mais il faut bien s’avouer que régulièrement les artistes de performances les plus pointus et les plus exigeants s’emparent de thèmes issus de la culture populaire, souvent pour en déceler la profondeur et la tristesse si souvent présentes dans le kitsch.

L’Eurovision, sérieusement !

massimo_furlan-1973-1Comme expliqué ici plus sérieusement, l’objectif affiché du concours est de réunir le continent autour de chansons populaires dans le respect de la diversité culturelle. En 2011, Le Théâtre de la Cité Internationale reprend  “1973”, la performance autour de l’Eurovision de Massimo Furlan, créée au festival d’Avignon 2010. Un hommage au kitsch et à la variété seventies délirant qui mêle souvenirs d’enfance et mémoire télévisuelle. Etre dans le concours, rentrer dans le concours, être le concours. Ce sont ces trois éléments que le performer Massimo Furlan met en œuvre dans « 1973″. En mêlant les images de l’eurovision 1973 et en reproduisant devant l’écran les chanteurs et chanteuses, ( mémorable Patrick Juvet) puis en confrontant l’image à un discours parodique sur la culture, il offre un show kitchissime où l’on rit aux éclats face au décalage entre l’écran, la réalité et le discours.

Ce projet s’inscrit dans le Re-enactement ou le travail de reprise. Cet élément très présent en art est rare en théâtre. Il s’agit ici dans un premier temps de refaire l’archive à l’identique, donc sans jamais pouvoir réellement y arriver. Le comédien manipule les langues et les postures pour coller à ses souvenirs d’enfant.

Loin de vouloir singer le concours, Furlan délire sur la notion d’idolâtrie, celle qui fait se rassembler plusieurs pays autours de chansons pourries. Il y a de la secte là-dedans.

Ici, l’émission, infiniment populaire, elle réunit bien plus de 100 millions de spectateurs chaque année et voit s’affronter près d’une quarantaine de pays,  quitte le champ généraliste pour entrer dans celui de la sensation de la forme. Le spectacle aura irrité ou séduit, il n’aura laissé personne indifférent, alors que justement, le concours, se regarde sans passion. 

Comme une chanson populaire…

Vous les femmes… vous le charme…. Julio sur la scène de la Bastille dans le geste d’Yves Noel Genod qui nous aura troublé une fois de plus dans sa recherche réussie du beau absolu. Les textes, deviennent des déclarations supports aux lignes caravagesque que le metteur en scène trace sur le corps parfait et à découvert de Thomas Gonzalez. Lui qui livre son âme par le biais de ces textes sur-connus expose son corps, sa pisse, sa morve comme vecteurs exutoires de l’angoisse. Le corps est magnifié, sculpté sans susciter pour autant d’état voyeur. L’effet est quasi scientifique, Thomas Gonzalez est l’Homme de Vitruve, les angles de son anatomie ici explorés au néon qu’il manipule. L’enchaînement des titres, a cappella, sur le grand plateau vide du théâtre de la Bastille, entouré de pendillons noirs apporte un tragique évident à ces monuments de la culture populaire. Se faisant, Yves-Noël Genod offre à l’imaginaire kitsch sa part de drame. Les textes parlent d’amour perdu, vieillissant.

Si avec Furlan on riait, ici, on pleure, traversés par la simplicité des mots associés à la radicalité de la proposition spectaculaire.

Drama Queen

François Chaignaud et Cécilia Bengolea sont des chercheurs, toujours prêts à réveiller ou récupérer des formes désuètes, mineures ou à la marge du monde de la danse établie. Après s’être enserré dans des masses noires pour Sylphides, avoir réhabilité les Danses libres des années 20, l’opérette avec Sous l’ombrelle (s’avive l’éclat de nos yeux), leur champs d’étude s’est posé en 2012 sur les pas des night-clubbeurs.

La marque de fabrique du duo s’inscrit justement dans l’anthropologie. Ils se jouent des identités sexuelles, François Chaignaud arborant chevelure de lionne et longs ongles bleus. Cela est un fil conducteur de leur travail. Mais ensuite, tout n’est que renouvellement réjouissant.

Altered natives’ Say Yes to another Excess-TWERK met en scène cinq danseurs et deux DJ’s, Elijah et Skilliam, dieux du Grime ce savoureux mélange de garage, de hip hop et de techno. Ils envoient du gros son alors que le public entre. Les danseurs, Cecilia Bengolea (Paris), François Chaignaud (Paris), Élisa Yvelin (Bruxelles), Alex Mugler (New York), Ana Pi (Paris / Belo Horizonte) sont déjà en transe dans des tourbillons maîtrisés où les lignes se tracent sous les néons pas encore en action qui découpent le ciel. Pour le moment ils sont cinq individus séparés chacun pour soi. Ils vont dans des gestes syncopés, à la maîtrise totale et à la puissance physique déployée rendre hommage à toutes ces danses de discothèque. Ils donnent à un genre en apparence mineur, celui de la fête, toutes ses lettres de noblesse.

Les artistes sont partis bosser à New-York pour l’occasion ramenant de la grosse pomme le meilleur des mouvements. Comme dans une folle nuit en club, très teintée par le début des années 2000, la party est sexy, glissant dans des allers-retours et des jeux de rentre-dedans qui permettent aux corps qui jusque là étaient dans des shows exubérants individuels, en duo ou en trio, de devenir masse, ligne parmi les lignes.

Il faut admirer ceux qui savent au milieu des simples noctambules faire spectacle. C’est comme toujours chez eux déstabilisant à souhait et empli de désir attirant. Let’s dance now ! Pour le coup, c’est un public survolté, dans la grande salle de spectacle du Centre Georges Pompidou qui s’est laissé aller.

Alors, quand la performance s’empare du populaire, devient-elle accessible pour autant ?

La réponse est non. Ensuite il faut savoir nuancer. Ce qui rend l’art performatif plus accessible qu’aucun autre et en ce sens, plus populaire c’est qu’il surgit souvent dans l’espace public, on pense à Eric Da Silva, Christ noir déambulant dans les rues d’Avignon ou dans les musées les plus classiques, tel Jan Fabre un temps au Louvre. Mais quand les performeurs, dans l’intimité d’une salle de spectacles propose un thème “facile”, jamais le spectacle ne perd en radicalité. Pourquoi ? Car nous sommes ici dans un art qui recherche l’engagement du corps dans une interaction viscérale avec le spectateur, et à cela, le sujet n’est qu’un prétexte, une porte d’entrée vers l’intime. Quoi de plus intime qu’une fête en boite, une chanson de Julio ou une soirée Eurovision, enfant, en famille ? C’est par la serrure du populaire qu’on entre dans quelque chose de plus vaste et plus profond, par définition anti-populaire puisque l’expérience vécue de performance dépend de celui qui regarde.

Visuel : (c) 1973 © Massimo Furlan

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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