Danse
Gestes dans la pierre au Festival Cluny Danse

Gestes dans la pierre au Festival Cluny Danse

20 May 2019 | PAR Juliette Mariani

La 8e édition du Festival Cluny Danse, organisé par la compagnie Le Grand Jeté ! du 14 au 19 mai, présentait le clou de son spectacle ce week-end à Cluny, avec des artistes de qualité. Retour sur ces chorégraphies contemporaines qui se sont mises en résonance avec la magnifique architecture de la ville abbatiale.

 

Le terrain de jeu du Farinier

La météo nous jouait des tours à Cluny : la pluie menaçant de couper court aux festivités, le danseur et chorégraphe brésilien Volmir Cordeiro a déplacé son spectacle au rez-de-chaussée du farinier. Dans ce cellier gothique, il s’est livré à une performance étonnante. Immense, la peau très blanche, le crâne rasé et les paupières oranges, il se roule par terre, fait des bonds démesurés et se frappe la poitrine au rythme du tambour. Volmir maîtrise parfaitement la danse-contact et l’art d’être sa propre musique : il souffle, grogne, siffle, renifle, prononce des incantations inintelligibles. Car c’est une véritable transe chamanique qu’il nous donne à voir, lorsqu’il accueille la lumière les bras ouverts, comme s’il captait des énergies invisibles. De temps en temps, le prêtre-sorcier s’étonne d’une voix d’outre-tombe : « Que faites-vous autour de moi ? Vous allez bien ? » Puis d’un seul coup : « Levez-vous ! » Il écarte la foule, se rue sur les spectateurs, attrape un chapeau, un châle, un parapluie, prenant vivement forme humaine. Mais le plus souvent, il fait la bête : accroupi dans un angle du cellier, il fait mine de manger avec les doigts, devient tout rouge, marche à quatre pattes. On ne saurait dire, à l’ombre de ces ogives gothiques qui jouxtent l’abbaye, s’il joue un moine pénitent qui s’impose des génuflexions douloureuses, ou un prisonnier rampant entre les murs de sa cellule. Paria ou oracle ? On hésite tandis que les passages au sol, prosternations et reptations serviles succèdent aux bonds grandioses et aux postures de prophète.

Le même soir, le farinier accueille un autre spectacle, à l’étage cette fois-ci. La compagnie belge Ultima Vez convoque une toute autre ambiance sous la charpente en coque de bateau de l’ancien grenier à farine. L’heure n’est plus à la performance décousue, mais à la croisade baroque, et Go Figure out Yourself sait se fondre dans le décor pour faire circuler l’énergie entre les chapiteaux romans. La scène s’ouvre sur un acteur qui déplore le vide : « pourquoi ne pas écraser le néant entre nos mains ? » Le but du spectacle est en effet de créer des liens entre les spectateurs et les acteurs. Nous sommes d’emblée mis à contribution : le public doit faire un choix et se répartir entre les cinq danseurs, qui nous proposent chacun de leur côté une petite représentation privée. L’atmosphère est intime et feutrée, et le jour qui s’éteint est remplacé par des lanternes rouges qui créent un clair-obscur remarquable. Mais soudain, une dictatrice monte sur un échafaud et ressuscite le temps des croisades : elle ordonne à la foule de se réunir en « onze-mille unités qui vont charger l’Orient ». Les cent-trente spectateurs courent comme une seule masse d’un bout à l’autre de la pièce. Une fois relevés de cette guerre funeste, les acteurs nous proposent de nous exprimer dans un micro : que voulons-nous boire ? que voulons-nous danser ? Alors que la nuit est totalement tombée, ils ont réussi la prouesse d’entraîner tous les spectateurs dans une grande danse désordonnée.

C’est dans la même salle de danse improvisée que se réunissent le lendemain les sept danseurs de VIADANSE du Centre chorégraphique national de Bourgogne Franche-Comté à Belfort, pour nous présenter leur spectacle OSCYL Variation. Même lieu, autre atmosphère : tout n’est que douceur et poésie tandis que le soleil inonde le sol du farinier. Les danseurs ondulent autour de sculptures à demi humaines, inspirées par une œuvre de Hans Arp. L’Oscyl est tantôt une divinité portée à bout de bras, tantôt une patate brûlante lancée entre les sept danseurs.

 

Spectacles de rue

Les autres spectacles se déroulaient en plein air, ce qui invitait à une toute autre ambiance. Dans le parc abbatial, sur une scène en bois déposée au milieu de la verdure, deux danseurs interprètent Vivace, mis en scène par Alban Richard, directeur du Centre Chorégraphique National de Caen. Anthony Barreri et Yannick Hugron alternent les danses et les musiques grâce à un procédé ingénieux : un interrupteur au bord de la scène, qui leur permet de « zapper » à l’envi. Ainsi se succèdent sans transition un madison, du pop, de l’électro, du classique… changements d’univers brutaux auxquels les corps des danseurs répondent de concert. La gestuelle, issue des podiums de clubs, convoque des pas basiques et beaucoup de bras.

C’est à un même jeu entre corps et musique que l’interprète et chorégraphe Cloé Vaurillon, du collectif Zou, nous invite devant le mémorial de la Seconde Guerre mondiale pour un spectacle intitulé Limites, mis en scène par Morgan Zahnd. Là où les danseurs de Vivace gardaient prise sur leurs mouvements, la jeune femme de Limites a un corps de marionnette molle, articulé par la musique, qui s’affaisse et se relève au gré de la bande-son qui oscille entre techno et violons classiques. Elle mime des oiseaux qui comme elle s’envolent de leur cage. A l’aide d’une grande lampe rouge, la danseuse parvient à reprendre le dessus sur son corps, comme un marin qui se tient à sa voile. 

Samedi soir, la compagnie BiLBoBaSSo mettait le feu à la place du marché dans Amor, un spectacle qui mêle le tango argentin aux arts du cirque. Delphine Dartus et Hervé Perrin sont en effet des danseurs virtuoses dans l’art de maîtriser les flammes. Elle, campe une héroïne de western exaltée ; lui, un dandy britannique qui devient vite indifférent aux charmes de son épouse. Alors que leur lune de miel dessinait un cœur de flammes sur la scène de sable, leur vie conjugale se transforme peu à peu en spectacle incendiaire. Étincelles, cigare explosif et parapluie enflammé sont autant d’armes de guerre pour combattre le refroidissement de la passion. La demi-heure de spectacle se termine sur un feu d’artifice qui projette des couleurs vives sur les murs de pierre de Cluny.

Visuel : © Juliette Mariani pour Toute la Culture
©  affiche du festival 

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Juliette Mariani

One thought on “Gestes dans la pierre au Festival Cluny Danse”

Commentaire(s)

  • Alain Grillo

    Des descriptions des différents spectacles chorégraphiques très précises, on s’y croirait, avec pour décor les belles pierres de Cluny!

    May 26, 2019 at 17 h 52 min

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