
Scorsese le radieux : lettre à sa fille
Martin Scorsese écrit une lettre ouverte à sa fille, portant sur son métier de réalisateur et la façon dont il le pratique. S’en dégage une foi intacte dans le cinéma et dans sa marche vers un avenir radieux. Eloge simple et touchant du progrès, par un maître.
A 71 ans, Martin Scorsese signe une lettre ouverte sur l’état actuel du cinéma, publiée en anglais sur le site du magazine italien L’Espresso. La destinataire en est sa propre fille, Francesca, 15 ans. En réalité, le réalisateur joue les Rainer Maria Rilke et prodigue des conseils universels. Sa thématique ? Les conditions de réalisation des films aujourd’hui. Son ton ? Peut-être lyrique, enthousiaste en tout cas. Sa thèse ? aujourd’hui, les films peuvent être faits avec très peu d’argent.
Le début d’une nouvelle époque
« L’idée du cinéma avec laquelle j’ai commencé à faire des films arrive à son terme. » Lorsqu’il était jeune réalisateur, le cinéma « était un commerce ». Selon lui, aujourd’hui, l’argent joue moins. Il est vrai que des films comme les found footage, tournés en caméra numérique, à la première personne, sans vedette, dans des lieux très communs, ou les expériences d’un cinéaste comme Steven Soderbergh vont dans le sens de son idée. Le vieux Martin salue aussi les jeunes loups qui tiennent à leur « indépendance », du moins qui cherchent à conserver leur style, comme Joel Coen, David Fincher ou Paul Thomas Anderson le capricieux, qui est allé jusqu’à tourner The Master, au mépris des conventions dictées par l’économie, en 70mm –serait-il notre nouveau Stanley Kubrick ? Il avance également que tout le monde se sert d’Internet, donc bientôt plus besoin de grands cinémas. L’argent pourra se retrouver hors-jeu.
Un maître toujours en travail
On peut penser que, plus largement, l’ami Martin cherche à louer le mouvement permanent du cinéma, son avancée, et les surprises qu’il réserve. Il est l’art « surprenant » par excellence. Cette lettre ouverte fait donc du bien car elle éclaire ses derniers films : Aviator, Les Infiltrés, Shutter Island, Hugo Cabret, et Le Loup de Wall Street. Ils furent des réussites absolues. Parce qu’ils étaient des films en recherche, des films de prise de risque. Pas des mécaniques bien huilées.
Martin en profitait aussi pour répondre à des détracteurs, qui l’accusaient d’encourager les excès des traders… Quelqu’un a-t-il quelque chose à dire là-dessus ? Non ? Bon. « Le cinéma, c’est le centre de mon monde. » On le voit, Martin, on le voit.
Une leçon magnifiquement actuelle
On peut lui répondre que, d’une part, les found footage demeurent souvent bâclés et peu exaltants –que pèse Paranormal activity 5 contre la deuxième partie du Hobbit ?- et que d’un autre côté, David Fincher et Paul Thomas Anderson ont à compter, tout de même, avec l’avis des studios lorsqu’ils tournent. Des moyens restent parfois nécessaires pour donner la possibilité de rêver. Et avec eux, que de réussites permises !
Mais ses derniers films sont la meilleure leçon qu’il puisse donner : un artiste, même établi en tant que maître, se doit d’aller avec son temps, de se tenir au courant des tendances, et de réaliser sa propre cuisine à partir de ce qu’il découvre. Pas de camper viscéralement sur ses positions.
Vous êtes un jeune réalisateur qui se sent comme Al Pacino au début de S1mOne –film avec une thématique proche, tourné en 2001 par Andrew Niccol– vous ne pouvez plus supporter les conditions des stars et des studios ? Rentrez chez vous. Et tournez. Faites le film « que vous avez besoin de faire ». Vous êtes un artiste reconnu ? Continuez à apprendre. Ne vous arrêtez jamais d’apprendre. Le talent, « c’est vous ». Les films, « c’est vous ».