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A l’occasion de la sortie de The Bay, rencontre avec l’inclassable Barry Levinson

A l’occasion de la sortie de The Bay, rencontre avec l’inclassable Barry Levinson

04 June 2013 | PAR Yaël Hirsch

 

 

Grand nom du cinéma américain, Barry Levinson est le réalisateur de « Rain man » (1988), «Avalon» (1990) ou encore récemment « Panique à Hollywood » (2008). Egalement réalisateur de documentaires, c’est sur ce mode qu’il devait tourner « The Bay », un film sur la catastrophe écologique qui est en train de ruiner la baie de Chesapeake, dans le Maryland, où 40 % de la vie est déjà détruite par la pollution. Mais c’est sans compter l’imagination débordante de Levinson, qui a transmué « The Bay » en Found Footage (film fait de vrais-faux rushs retrouvés) à la “Rec” ou “Paranormal activity” qui flirte avec le genre de l’horreur. Nous avons rencontré le pétillant inclassable ciénaste autour de la sortie française (programmée pour le 19 juin 2013) de ce petit bijou au suspense rondement mené…

Quand avez-vous décidé de tourner « The Bay » sur le mode de la fiction ? Peut-on parler d’un film d’horreur pour décrire cette fable sur une catastrophe écologique ?
J’ai mis trois ou quatre semaines à partir du moment du début du sujet à réaliser que je voulais faire une fiction. J’en parlais, j’y pensais et tout d’un coup, ça a fait sens de le faire de cette manière. Pourquoi est-ce un film d’horreur. Je ne sais pas. Mais ce n’est pas un film d’horreur traditionnel, ce qui m’a donné du fil à retordre avec le distributeur aux États-Unis. Et souvent on me reproche de faire des films qui ne correspondent pas tout à fait à un genre. Mais c’est ce que je fais, c’est comme ça ! On a du mal à me définir, à me classer sur les étagères des vidéoclubs. Mais quand je fais un film, je ne le fais pas en me demandant qui va le voir et avec un souci du classement. C’était déjà par exemple la question pour « Diner » (1982), qui est à la fois une comédie et un film d’adolescence, et qui brouille les frontières. Quand j’ai fait « Rain man » (1988), les gens se demandaient exactement ce qu’était le film. Était-ce un film tragique sur une maladie grave ? Une comédie légère où l’on était sensé rire ? Les gens et notamment le public américain sont souvent déstabilisés mais je n’arrive pas à me tenir à des frontières déterminées, c’est ce que je fais, c’est comme ça que j’ai besoin de m’exprimer…

Dans le film, vous êtes prodigue de détails qui produisent un « effet de réel » : l’accent français de l’océanographe, le pantalon trop serré de l’apprentie-journaliste. Avez-vous inséré sciemment chacune de ces précisions ?
Absolument. J’ai toujours pensé que des petites choses comme cela ajoutaient de la crédibilité. Ce qui sonne juste à mon oreille peut vraiment donner une assise au film. En fait ce sont souvent les éléments qui ne semblent pas indispensables à l’avancée de la narration qui font le film.

Est-ce ce même souci d’effet de réel qui vous a poussé à choisir des comédiens inconnus pour le casting ?
Ça a l’air plus réel que si Brad Pitt jouait l’océanographe. Le film a été tourné en 19 jours et cela me semblait approprié d’avoir un casting qui allait avec ce rythme simple et rapide.

Pourquoi avoir fait témoigner la seule survivante du drame de « The bay » par skype ? Ne pouvait-elle pas s’exprimer devant une vraie caméra ?
Je crois qu’elle a peur de rencontrer des gens pour parler de cela. Et skype est à la fois très personnel et en même temps celui qui parle est très reculé, comme en retrait. Si deux personnes sont dans la même pièce en interview, je ne crois pas qu’il y  ait la même tension.

Elle parle à plusieurs reprises de sa culpabilité et c’est le seul sentiment jamais évoqué dans ce film d’action. Pourquoi ?
C’est la seule à avoir la chance de pouvoir porter un regard rétrospectif sur l’histoire, donc elle a le temps de se sentir coupable. D’abord de ne pas vraiment avoir fait son travail à l’époque alors qu’elle était une apprentie journaliste qui a échoué à couvrir l’histoire car elle a eu peur et elle a fui. Ensuite, elle a la culpabilité de survivre alors que son caméraman, lui, est mort des suites de cette terrible journée.

Combien de types de caméras différentes avez-vous utilisé ? En quoi «The bay » est-il un « found footage » un peu particulier ?
Je crois qu’on a utilisé 14 différents systèmes digitaux. On a en testé encore plus, mais on en a gardé 14. Il y a dix ans ces technologies n’existaient pas alors on n’aurait pas pu tourner un tel film. Mais je trouve que dans les autres « Found Footage », il y a toujours à un moment donné des plans en caméra fixe. Et je n’ai jamais compris exactement comment cela pouvait être vraisemblable. Dans « The bay » on ne voit vraiment que les images qui ont pu être tournées par les caméras digitales que les personnages ont à leur disposition au moment des évènements et qui sont des appareils qui n’existaient pas il y a peu …

Quelle a été la scène la plus difficile à tourner ? Est-il logique qu’on voit de plus en plus ce qui se passe jusqu’à ce qu’on arrive aux limites du film de zombie ?
La scène de la maison est difficile à tourner. La caméra est coincée dans la voiture des policiers. Et pour que cela soit vraisemblable on ne peut pas dire que par une formule magique quelqu’un dans la maison a une caméra digitale. On entend donc depuis la caméra de la voiture ce qui se passe dans la maison et on doit imaginer ce qui s’y passe d’après les bruits. Et cela fonctionne. Mais au fur et à mesure que le film avance et si les caméras sont présentes, la menace grossit et l’on a envie voir ce qui se passe. Les gens à l’hôpital sont mangés de ‘l’intérieur et l’on voit la manifestation visuelle de ce qui s’est passé. A un certain moment du film, on va donc voir l’horreur.

Pourquoi avoir choisi – comme de nombreux films américains d’apocalypse – la date de la fête nationale, le 4 juillet ?
C’est vrai qu’il se passe beaucoup de chose le 4 juillet dans les films américains ! Mais la raison est simple : c’est tout simplement le seul vrai jour de congé pour tous dans l’été…

Quand vous montrez la manière dont les autorités gèrent la crise, vous montrez qu’ils ferment le pont pour endiguer l’épidémie et laissent toute la population de la ville mourir. Est-ce une vision cynique de l’Etat d’exception ?
Non, je crois que c’est du réalisme. A un moment on entend les autorités compétentes dire qu’il s’agit d’une petite ville et qu’il faut remettre les choses dans leurs perspectives. Et c’est vrai, comparé aux millions d’habitants du pays, « The bay » a peu d’habitants, la manière la plus réaliste de défaire la menace est donc de la contenir, quitte à laisser tout le monde mourir, car le temps est compté.

L’écologie est-elle une cause qui vous parle tout particulièrement ?
Les questions écologiques me travaillent car elles font partie des problèmes généraux qui devraient êtres à ‘l’esprit de tous, mais je ne suis pas vraiment un activiste de Greenpeace ou d’associations dans le genre. Je me sens concerné mais je ne suis pas un participant actif. C’est souvent mon travail de réalisateur qui me pousse à me pencher sur certains sujets mais qui me force aussi à garder du recul. Par exemple, j’ai tourné un film sur les deux conventions des démocrates et des républicains pendant les présidentielles de 2008, durant la première campagne d’Obama. Mais je n’étais pas personnellement impliqué, ce qui m’a intéressé c’était la dynamique de la campagne, plus que par son résultat. C’était pour moi l’occasion de poser la question du rôle des médias et de la médiatisation de la politique.

“The Bay” de Barry Levinson, avec Christopher Denham, Frank Deal, Kether Donohue, Kristen Connolly, Nansi Aluka, Stephen Kunken, Will Rogers, USA, 2012, Arp Selection, 1h28, sortie le 19 juin 2013.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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