Mostra de Venise 2014 : l’absurde et la noirceur récompensés
Un Lion d’or à Roy Andersson, connu pour ses représentations sombres de l’humanité… et d’autres prix à l’avenant, consacrant des films qui font la part belle à l’absurde ou à la monstruosité de la condition humaine. Quand ils ne choisissent pas de représenter celle-ci dans toute son horreur…
Une vision noire de l’humanité : telle est la couleur dominante qui se dégage du palmarès du Festival de Venise 2014. Cela n’étonne guère quand on voit qui est en tête de liste. Pour son nouveau film, A pigeon sat on a branch reflecting on existence, lauréat du Lion d’or, le suédois Roy Andersson n’a pas renoncé à ses tableaux vivants et burlesques, peignant des vies anonymes qui s’effilochent, geste après geste. Après Chansons du deuxième étage (Prix spécial du jury à Cannes en 2000) et Nous, les vivants (2007), il invente ici une boutique de vente d’objets fantastiques, dans laquelle trouvent place de courtes scènes traitant de l’absurdité de la vie…
Les amoureux dépeints par le film Hungry hearts, tous deux récompensés en tant qu’interprètes, ne sont pas en reste : au fil d’un film passant allègrement d’un extrême à l’autre, la jeune fille décrite au départ comme une fée euphorique (Alba Rohrwacher, déjà à Cannes dans Les Merveilles) devient mère, et folle. Et son compagnon (Adam Driver) ne sait que faire au milieu de ce rêve devenu cauchemar… Ce film de Saverio Costanzo se présente comme noir et explosif. Quant aux Postman white nights mises en scène par Andrei Konchalovsky, frère de Nikita Mikhalkov auteur d’une pléiade d’œuvres connues (Le Premier Maître, Sibériade, Maria’s lovers, Le Bayou, La Maison de fous), elles nous invitent à suivre la vie de plusieurs villages isolés dont le seul lien avec le monde extérieur demeure… un facteur. Un Lion d’argent du meilleur réalisateur a salué l’ordonnateur de ce récit.
Le reste du palmarès est composé de films qui se présentent comme des contes étranges. Un Lion d’argent spécial du jury est venu couronner Sivas, de Kaan Müjdeci, histoire sombre de l’amitié entre un garçon et son chien dans la Turquie actuelle ; Rakhshan Bani Etemad, célèbre réalisatrice iranienne, a vu le scénario de son film Tales, coécrit avec Farid Mostafavi et mettant en scène sept personnes vivant dans des conditions sociales différentes, être distingué ; et si Le Dernier Coup de marteau, nouvelle réalisation d’Alix Delaporte (Angèle et Tony), a la forme d’un conte initiatique lumineux, celui-ci ne se greffe pas moins sur de tristes réalités, celle du cancer notamment. Romain Paul, son acteur principal, a en tout cas reçu le Prix du meilleur jeune interprète.
A part ces visions noires, que reste-t-il ? la réalité elle-même. Et elle fait mal. Sous la caméra de Chaitanya Tamhane, c’est le système judiciaire indien qui se trouve éreinté : Court repart avec le Prix du premier film (Prix Luigi de Laurentiis). Et le lauréat du Lion d’argent, Joshua Oppenheimer, poursuit son travail entamé en 2013 avec The act of killing : dans The look of silence, son nouveau documentaire, il confronte une famille survivante des massacres perpétrés en Indonésie en 1965, sur les opposants politiques, au bourreau qui assassina l’un des leurs. Non : cette année, ne comptez pas sur Venise pour vous faire goûter une douceur venue d’ailleurs. Elle n’a à vous proposer qu’une triste réalité.
Visuels : le Lion d’or © la Biennale di Venezia
Adam Driver et Alba Rohrwacher © Droits réservés
Visuel Une : visuel de la Mostra de Venise 2014