L’amour en toutes lettres, questions sur la sexualité à l’Abbé Viollet: un retour en demi-teinte
Entre 1924 et 1943, des hommes et des femmes ont écrit et se sont confiés sur leurs difficultés intimes et sexuelles à l’abbé Viollet, directeur de l’Association du mariage chrétien et spécialiste de la morale conjugale. Didier Ruiz en a fait un spectacle, L’Amour en toutes lettres. Approchant des quatre cent représentations et vingt ans après sa création, le Théâtre de Belleville l’accueille. Un retour trop convenu qui gagnerait à être revisité.
Des hommes et des femmes catholiques pratiquants, empêtrés dans des clivages intenses et douloureux entre désir et spiritualité, semblent trouver dans l’écriture de ces lettres l’ultime tentative d’obtenir une réponse et un soutien à leurs maux. Celles données à entendre, parmi la centaine existante, ont été retrouvées à Notre-Dame de Paris dans un carton qui portait l’inscription « Cas de conscience ». Aucune d’elles n’a reçu de réponses de la part de l’abbé. Le cri de souffrance qu’elles contiennent s’en trouve redoublé.
Sur un plateau sobrement éclairé, un à un, dix comédiennes et comédiens vont venir prêter leurs voix aux lettres exhumées. L’un finit sa prise de parole, un autre surgit des coulisses et ainsi de suite, jusqu’à venir former une ligne plus ou moins continue face au public. Nous sommes là devant une mise en voix plutôt qu’une mise en scène. Le potentiel est là mais les énergies des comédiens sont inégales, quoique tous bons c’est une évidence. Citons entre autres et tout particulièrement Brigitte Barilley, Isabelle Fournier, Marie-Do Fréval et Laurent Lévy. Les transitions manquent de fluidité. Une certaine lassitude, comme une ritournelle, qui, trop rodée, aurait perdu de sa superbe, s’empare du plateau.
Leur parole n’en reste pas moins un formidable et sensible outil de découverte d’une époque, d’une certaine France catholique rigoriste, dans laquelle le sexe cohabite difficilement avec les injonctions et les interdits religieux et où la sacro-sainte morale toute puissante de l’Église peut étouffer et briser les croyants. Soumission au « devoir conjugal », fidélité, frigidité, dégoût, pulsions, avortement, masturbation, homosexualité, grossesses à répétition, sont, entre autres, évoqués… Les lettres rendent compte de la misère et de l’emprisonnement dans lesquels sont plongés leurs auteurs. Cela dans une langue particulièrement bien écrite. Foisonnante de détails, la confidence laisse parfois place à une parole quasi analytique : déversements et flots d’interrogations tour à tour poignants et déroutants. Parfois drôles mais toujours tragiques. Comment ne pas faire de pont entre ce temps passé et notre temps présent, qui voit le religieux et ses intégrismes de tous bords rejaillirent et abîmer les êtres…
Une telle longévité est rare, et à n’en point douter L’Amour en toutes lettres mérite ce beau chemin. Malgré cela, ce dégage de cette reprise une sensation d’inachevé et d’usure. Celle-ci aurait mérité une réécriture dramaturgique, un coup de fouet et de jeune, une prise de risque, une audace supplémentaire.
Crédit photo: Emilia Stefani-Law
Pour lire les lettres: L’Amour en toutes lettres – Questions à l’abbé Viollet sur la sexualité (1924-1943) de Martine Sevegrand. Éditions Albin Michel
Le site du Théâtre de Belleville: https://www.theatredebelleville.com/
Infos pratiques
Du 8/04 au 28/05
Lundi > 21h15
Mardi > 19h15
? Durée • 1h
Bord de scène événement
Lundi 29 avril
Rencontre avec
l’équipe artisitique
à l’issue de la représentation
Lundi 6 mai
Rencontre avec
Martine Sevegrand
à l’issue de la représentation