
“La guerre des pauvres”, Olivia Grandville fait la révolution à La Ménagerie de Verre
L’édition 2021 de l’Etrange Cargo s’est ouverte hier à La Ménagerie de Verre avec un spectacle ultra pluridisciplinaire de la chorégraphe. Flamboyant !
Pour rappel, les lieux de culture sont de façon arbitraire tenus au silence depuis – à part une parenthèse de deux mois – un an. Ils ne sont pas fermés pour autant, les représentations professionnelles sont autorisées. Et de plus en plus ces temps ressemblent à des vrais spectacles. Nous voici donc entre nous assis le long du mur du Off, cet espace, ex garage qui est le cœur vibrant de ce lieu tenu par Marie Thérèse Allier depuis trois décennies. Il y a quelque chose qui revient souvent après avoir vu un spectacle à la Ménagerie. On dit “ah, ça personne ne l’avait fait avant”. Au choix, faire rouler une moto, une voiture, dessiner sur les murs, transformer l’endroit en soirée mousse ect… Et bien, encore une fois, personne (de mémoire) n’avait éclairé la Ménagerie comme ça, à la led et au feu, oui, au feu. “ça”, c’est le génie d’Yves Godin dont on aime tant le travail.
Nous sommes donc face une configuration rare (mais pas nouvelle). Celle de prendre de la longueur ! Le point de vue est étonnant, il est celui d’un défilé de mode. Pourtant le monde du luxe est loin d’ici. Nous sommes en Allemagne au XVIe siècle et l’immense Laurent Poitrenaux va nous raconter l’histoire de Thomas Müntzer, l’homme qui a mené les révoltes paysannes qui vont se rependre dans toute l’Europe. La révolution viendra plus tard, mais elle se niche là, dans le pain qui durcit, qui commence à manquer.
Le texte d’Eric Vuillard est rapide et très chorégraphique. Cela n’a pas échappé à Olivia Grandville qui dans ses précédentes pièces a travaillé les relations entre l’histoire et la danse. Ici, même si la danse est présente, la proposition est essentiellement théâtrale. La lumière, la scénographie de Denis Mariotte qui plante ses iconiques fanions blancs comme des métronomes, la musique live de Benoit de Villeneuve et Benjamin Morando, tout vient servir de socle à un rôle tissé sur mesure pour Poitrenaux qui excelle particulièrement dans les formats de presque lecture. On se souvient de lui flottant dans Un mage en été par exemple.
Nous plongeons dans le lyrisme des mots traduits et accompagnés en gestes par d’abord Martin Gil Enrique puis Eric Nebie. L’un déroule physiquement l’idée de révolte, le second y prend part de façon, au premier sens du terme, frappante et galopante.
Olivia Grandville est fan du texte d’Éric Vuillard, elle raconte à ce sujet une histoire folle. Lui ne voulait pas céder les droits, et un jour, elle le croise dans un café et il décide de rendre le texte public, elle en parle ici si vous voulez tout savoir.
Elle a raison car, mis en scène et en espace, il devient la lutte paysanne incarnée, l’idée de se battre pour ses droits est une évidence. On entend “Les faits sont ainsi, ils ont lieu quand ils veulent”. Dieu que c’est vrai. La pièce devait jouer l’année dernière et le festival a été annulé à cause du premier confinement et voici que La guerre des pauvres se donne en plein mouvement d’occupation des théâtres.
Le spectacle résonne, frappe fort dans un geste militant à la scénographie ultra léchée.
Visuel : ©Denis Mariotte