
Kingdom, Anne-Cécile Vandalem dans les sombres forêts familiales au Festival d’Avignon
Après Tristesses en 2016 et Arctique en 2019, Anne-Cécile Vandalem poursuit au Festival d’Avignon son cycle sur les échecs de l’humanité, avec dans ce royaume, une vision très intime du mal.
D’après une histoire vraie
Dans la cour du lycée Saint-Joseph, on a souvent vu de beaux et grands décors, ceux D‘Ivo Van Hove, de Simon Stone. Mais Anne-Cécile Vandalem frappe fort en nous embarquant en Sibérie, au cœur de la forêt dense, longée par une rivière et ponctuée de deux maisons. Le long du mur, une barrière marque une frontière, on ne sait pas encore avec qui.
Kingdom est l’adaptation quasiment littérale d’un documentaire de Clément Cogitore, Braguino. En 2016, Clément Cogitore s’est rendu à Braguino, du nom de la famille vivant dans quelques cabanes de bois perdues, à 700 km de toute présence humaine. Aucune route ne mène là-bas, seul un long voyage sur le fleuve Ienisseï en bateau, puis en hélicoptère, permet de rejoindre ce village. Par cette action, l’artiste souhaitait percer le mystère de la volonté d’un homme, Sacha Braguine, qui décida d’installer là sa famille il y a plus de trente ans, avec l’espoir de vivre en paix, dans l’autarcie la plus complète, et de construire un modèle de vie autosuffisant. Les Kiline, sont également venus s’installer sur ces terres reculées dans l’idée de vivre une sorte d’utopie. Il apparaît pourtant très rapidement que ce paradis est devenu la scène d’un conflit ouvert entre les deux familles qui ne parviennent pas à cohabiter.
Famille je vous hais
Au moment où la pièce commence la famille est affairée à trouver du bois pour l’hiver, à faire des réserves. Trois générations vivent là : le grand-père fondateur Philippe (Philippe Grand’Henri), son fils Laurent (Laurent Caron) et sa femme Épona (Épona Guillaume), leurs enfants : Anja (Juliette Goossens/Ida Mühleck), Nastasja (Lea Swaeles/Léonie Chaidron), Michka (Isaac Mathot/Noa Staes), Daryna (Daryna Melnyk/Eulalie Poucet) et leur neveu Vania (Arnaud Botman) et nièce Zoé (Zoé Kovacs), et deux chiens, Ice et Oméga.
La scène est comme éclairée à la bougie, on y voit à peine. Et c’est bien l’acte de Cogitore qui est mis en théâtre puisque deux caméramans filment la vie de la famille. Cela donne une structure dedans/dehors fascinante. Les scènes de l’intime, dans les maisons, ne sont accessibles que via la caméra qui filme en direct à l’intérieur ce qui est projeté sur le grand écran surplombant la scène. La vie dehors est, elle, accessible à nos yeux nus.
Là où le théâtre déborde le documentaire c’est dans son approche. Ce qui intéresse la metteuse en scène c’est la rivalité entre les familles plus que l’autarcie. Et l’ambiance devient celle d’un Festen dans les bois. On plonge dans cette histoire sans réserve où les erreurs des uns ont mené à la mort des autres. Où les rancœurs entre les cousins atteignent un point de non-retour où seule la vengeance est une issue.
Tout au long (sauf au moment du dénouement, dans un choix de récit très dramatique), le fil est tenu. L’histoire qui se pare de fantastique est ultra-réelle. Ce qui se passe au fond de la Sibérie peut se passer à la table de Noël. C’est là que c’est fort. Car le roi a voulu bien faire, il a inventé un conte sioux, mais il s’est planté, son royaume s’effondre.
Scénographiquement c’est une bombe et sur le fond, le récit est universel. Qui n’a pas des problèmes de voisinage ? Particulièrement quand les voisins partagent votre sang ?
La pièce se donnait jusqu’au 14 juillet au Festival d’Avignon et à l’heure actuelle aucune date parisienne n’est annoncée, il faudra aller en Belgique ou à Lille dans un premier temps pour plonger dans la Taïga, où les ours ne sont pas forcément vos ennemis.
Avec : Arnaud Botman, Laurent Caron, Philippe Grand’Henry, Épona Guillaume, Zoé Kovacs. Et Federico D’Ambrosio, Leonor Malamatenios (équipe de réalisation). Et en alternance, les enfants : Juliette Goossens/Ida Mühleck, Lea Swaeles/Léonie Chaidron, Isaac Mathot/Noa Staes, Daryna Melnyk/Eulalie Poucet
Visuel : © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon