Marina Abramovic dans le gisant de La Callas à L’Opéra de Paris
Soir de première(s) à l’Opéra de Paris ce 1er septembre. Soir d’ouverture du Festival d’Automne d’abord qui fête sa cinquantième édition. Soir de première fois pour la reine de la performance 100% à la tête d’un spectacle pour l’Opéra. Et pour la véritable première fois, nous avons vu fusionner les arts à Garnier. Pour réussir cela, il fallait un Grand Soir, un soir où Maria Callas retrouverait la scène via le corps de Marina Abramovic. Rien que ça.
Moi je veux mourir sur scène
Cela fait longtemps (50 ans) que Marina Abramovic danse avec la mort et que comme Dalida “elle l’a vue de près, souviens-toi”. Face à elle, la flèche menaçante d’Ulay, son compagnon (Rest energy). Elle, offrant (s’offrant) au public, immobile, assise à une table, des objets, dont une lame de rasoir (Rythm O). Enfermée avec Jan Fabre dans une boîte transparente (Abramovic-Fabre, Vierge-Guerrier) un temps long. Et on se demandait bien comment son goût pour le sang allait pouvoir arriver jusqu’au plateau de l’Institution par excellence.
Disons que le temps a passé, et que si performance il y a, elle se tient de façon académique, dans la figure de la répétition chère à Marina. On se souvient d’elle assise des centaines d’heures dans un musée ou mangeant des oignons par dizaines. Et bien c’est cela qu’elle fait dans 7 Deaths of Maria Callas, répéter un geste jusqu’à une révélation, jusqu’à une provocation.
7 morts, 7 vidéos, 7 tubes
Une chanteuse arrive, habillée en servante grise. Elle avance sur un petit plateau surélevé au bord duquel Marina Abramovic/Maria Callas dort sur son lit de mort. Pendant qu’elle chante, surgit après une tempête dont l’allure kitsch est assumée, une vidéo.
Ces films durent le temps de la chanson, ils incarnent l’opéra en question où toujours une femme est attirée par la mort, ou assassinée, malade, suicidée… Jamais consentante de rien. C’est dans ces films que Marina Abramovic est absolument elle-même. Elle campe avec Willem Dafoe un duo mortellement amoureux.
Sans vous dire comment précisément, disons qu’elle meurt toujours à la fin, quelquefois étouffée par on ne sait quelle vapeur étrange, ou étranglée par des serpents. Chaque film est unique, chaque film est une oeuvre qui a bien sûr sa place dans tous les musées du monde. La mise en scène est léchée et le sens de l’image ultra maîtrisé.
Pour l’anecdote, ils sont réalisés par Nabil Elderkin, plutôt habitué aux clips des stars de la pop comme The Black Eyed Peas. Ce sont dans ces films que les scarifications et autres souffrances arrivent, selon le dogme de Marina qui dit : “A travers la souffrance un artiste transcende son esprit”. Vous l’aurez compris, les voix sont écrasées par l’image. Le jeu est aride, comme une mise à mort, presque comme une compétition. Elles n’ont pas d’autre choix que d’exceller si elles veulent être vues et entendues.
Hera Hyesang Park, Selene Zanetti, Leah Hawkins, Gabriella Reyes, Adèle Charvet, Adela Zaharia et Lauren Fagan, toutes merveilleuses sopranos, toutes foulant le plateau de Garnier pour la première fois (!) ont environ 5 minutes pour balancer des tubes mondiaux (Traviata, Tosca, Carmen…), qui tous ont été ultra marqués par les interprétations de Maria Callas. Evidemment, selon la règle qui meut Marina, que “de la souffrance naît la meilleure œuvre”, elles y arrivent!
Porter ses morts
Finalement, comme l’avait fait Raimund Hoghe qui lui aussi avait réactivé le 36 avenue Georges Mandel à sa façon, c’est le fantôme bien vivant de Maria Callas qui est recherché. Pour le trouver Marina Abramovic entre dans son corps, son appartement, ses gestes. Ne pensez pas que 7 deaths of Maria Callas se résume à un best-of de titres, bien sûr que non. Tout a un but, que nous ne vous dévoilerons pas, mais qui est bien atteint. Image après image, comme elle l’a toujours fait, la performeuse serbe pose son propos, elle ne raconte pas. D’ailleurs, sa voix à elle ne nous parviendra pas de façon directe. Quant à la musique, elle est double. Entourant les 7 icônes, il y une composition très contemporaine où les cloches et les tambours sont à la fête, où un chœur féminin se fait entendre autrement. Marko Nikodijevic signe ces partitions englobantes magnifiquement portées par l’orchestre, brillant, comme toujours !
On reprochera à 7 Deaths son côté bourgeois, lié à sa durée, très confortable (1H30), et à son décor 100% littéral dans la deuxième partie. Si la performance est entrée ce soir à l’Opéra de Paris, elle l’a fait tout de même en prenant garde à ne pas choquer. Reste un moment rare et inouï, celui d’entendre d’une certaine façon Maria Callas à nouveau. Et celui aussi de se réjouir de voir Marina Abramovic performer encore, et en pleine lumière !
Jusqu’au 4 septembre à l’Opéra Garnier dans le cadre du Festival d’Automne
Visuel © Charles Duprat/ONP