“36, Avenue Georges Mandel” : Raimund Hoghe porte la Callas en lui au festival d’Avignon
Le superbe hommage que le chorégraphe rend à la Callas avec 36, Avenue Georges Mandel n’a pas séduit le public, qui s’est manifesté comme aux grandes époques. Cela renforce l’idée que montrer des corps différents sur scène est urgent. Pourtant, Hoghe n’est pas un inconnu. Loin de là.
Le public parisien connait particulièrement bien celui qui fut le dramaturge de Pina Bausch. Il est en effet très souvent programmé (et acclamé), notamment dans le cadre de l’excellent festival Les Inaccoutumés, qui se déroule chaque automne à la Ménagerie de Verre. Raimund Hoghe est une star et nous étions confiants, à tort, sur la réception qui allait être faite au festival d’Avignon de cette reprise de ce spectacle joué en 2007.
Le 36, Avenue Georges Mandel était la dernière adresse de la diva. C’est donc sur le vide que Hoghe travaille, sur les traces surtout. Sa pièce est un rituel magnifiquement orchestré où, comme toujours chez lui et particulièrement depuis 1994, date à laquelle il a commencé ses portraits chorégraphiques, un geste est un acte.
Autre acte, son handicap. Il a une malformation congénitale qui lui donne l’allure bossue. Toute la force de ce danseur est justement de rendre son dos disloqué absolument graphique.
Entrer dans un spectacle d’Hoghe demande un état de pleine conscience, réellement. Il faut entrer dans son corps comme lui fait entrer la voix de La Callas en lui. Il la porte, dans sa bosse, dans ses yeux, dans ses pieds sur talons hauts et dans ses mains. Il n’est pas seul : comme toujours, ses solos sont pluriels. Sur le plateau, Luca Giacomo Schulte et Emmanuel Eggermont interviennent comme des liants dans cette convocation de l’au-delà.
La pièce est comme à son habitude une succession de gestes forts. Il y a cette célèbre fente avant qui dit les inégalités entre son buste et ses jambes et qui le transforme en toréador sur “L’amour est un oiseau rebelle” de Carmen.
Dominique Bagouet, Takashi Ueno ou Judy Garland… Hoghe ne raconte jamais, il impose un cérémonial pour que chaque monument que la Callas a chanté se traduise dans la sobriété d’un mouvement. Comme à son habitude, la scénographie est légère. On retrouve au sol, sanctuarisés, les vêtements qu’il va porter tout au long du spectacle.
C’est la fragilité de la chanteuse, morte seule chez elle, au numéro 36, qui est au cœur de ce travail. Répondre à la puissance par la minimalité est le fil rouge de cette pièce, qui fait entendre Norma ou Tosca dans un état loin de celui avec lequel on doit se rendre à l’opéra. On entend également Maria parler et se raconter, et l’on sent ses incompréhensions quand elle dit “Qu’y a-t-il d’extraordinaire dans ce que je fais?”
Hoghe nous attrape, en mettant en commun ces airs et cette voix qui résonnent en nous, et ce, en les associant à la radicalité d’un plateau lent, où chaque geste (de l’eau versée, une veste qui s’enfile …) devient un acte à la douceur inébranlable, somptueux.
La résonance entre la voix et la force de gestes amenés, avec tant d’exigence et de réflexion, est d’une beauté pure. Comme toutes les pièces de ce chorégraphe singulier, ce spectacle nécessite le temps de la réflexion pour prendre dans nos corps la place nécessaire. Il en sera de même, cela nous l’assurons pour sa prochaine création, pour Avignon, Canzone per Ornella du 22 au 24 aux Célestins.
36, Avenue Georges Mandel – Raimund Hoghe – Festival d’Avignon 2018.
Visuel : © Christophe Raynaud de Lage
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