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[Interview] John Osborn : « J’exprime la langue et la technique de l’opéra français en utilisant la technique du bel canto »

[Interview] John Osborn : « J’exprime la langue et la technique de l’opéra français en utilisant la technique du bel canto »

15 February 2021 | PAR Paul Fourier

En janvier à Barcelone, la présence du ténor américain, venu chanter Hoffmann, a été l’occasion de réaliser cette interview dans un café en face de l’Opéra. C’est dans un français aussi facile que volubile, que celui-ci nous a répondu, se mettant même parfois à chanter à la grande surprise des clients présents.

Bonjour John, c’est la seconde fois que je vous vois dans le rôle d’Hoffmann, après la formidable mise en scène de Tobias Kratzer à Amsterdam.

Ici, à Barcelone, je participe, de nouveau, à la production de Laurent Pelly à laquelle j’avais déjà pris part à Lyon, en 2003, et qui avait été suivie d’une tournée au Japon.
Puis, en effet, il y a eu la production de Kratzer à Amsterdam. Avec mon premier Hoffmann à la salle Pleyel avec Marc Minkowski, et la production de Jean-Louis Grinda à Naples, cela fait donc quatre versions différentes des contes auxquelles je participe.
À Amsterdam, le travail avec Tobias Kratzer était formidable. Mais il y avait un problème avec la structure du décor, car les murs bloquaient la vision et la connexion entre les artistes. Je trouvais bizarre que l’on me sépare complètement d’Antonia pendant notre scène.
L’amour avec Antonia est le plus vrai des trois et il était difficile de ne pas avoir de connexion physique ou même visuelle avec elle. Ce mur entre nous m’empêchait de voir ce qu’elle faisait et je devais faire totalement confiance au metteur en scène. La tension était bien là, mais le ressenti était bizarre. Lorsque j’ai vu le spectacle à la télévision, ce fut la première fois que je voyais Antonia dans notre scène ! Il en était de même lorsque le diable était au-dessous de moi sur le plateau et que je ne le voyais pas. Je devais ainsi évoluer dans la zone dans laquelle je pensais qu’il se trouvait. Ceci étant, c’était une production vraiment fondée sur la psychologie des personnages et je l’ai beaucoup aimée !

Être à Barcelone pour assister un spectacle fait un bien fou ! En ce moment, il n’y a plus de spectacles avec public en France et c’est frustrant !

En effet ! D’ailleurs Carmen, à l’Opéra comique où je devais interpréter mon premier Don José, a été annulée. J’espère que ce n’est que partie remise. C’est une collaboration avec la Chine et franchement ce n’est pas la période idéale pour réaliser des projets entre la Chine et le reste du monde. (rires)

Si vous le voulez bien, revenons sur quelques repères de votre carrière.

Mon aventure lyrique a débuté, à l’âge de 16 ans, lorsqu’une de mes « girlfriends » m’a dit que je devrais chanter de l’opéra. Je n’y connaissais rien, mais finalement, je me suis décidé à étudier « La donna e mobile », l’air du duc de Mantoue dans Rigoletto, ainsi que « Thou shalt break them » du Messie de Haendel, pour une audition au Simpson College de Indianola (Iowa, USA).
Puis, j’ai rejoint une université où il était possible de faire des études musicales. Ainsi, j’ai pris part, à l’âge de 18 ans, à mon premier opéra en live ; j’étais dans le chœur pour Susannah de Carlisle Floyd.
J’ai ensuite tenu mon premier rôle lors du deuxième semestre de cette même année. C’était Don Basilio des Noces de Figaro dans une version en anglais.
Par la suite, tous les semestres, à l’Université, je participais à un nouvel opéra. J’ai interprété Alfred dans Die Fledermaus, Mercure dans Orphée aux enfers, Rinuccio dans Gianni Schichi, ainsi que Tamino dans La Flûte Enchantée, Lord dans Christopher Sly (de Dominick Argento) et… même un coq dans Chantecler !
À l’âge de 21 ans, je suis entré dans le programme de jeunes artistes du Metropolitan Opera. J’y ai interprété des petits rôles et fait aussi beaucoup de coaching. Lors d’une émission, j’ai interprété, en live à la télévision, « Ah mes amis, quel jour de fête » de La fille du régiment et « la furtiva lagrima » de L’élixir d’amour.
En 1995, j’ai chanté dans Paul Bunyan de Benjamin Britten. C’est à ce moment que j’ai rencontré ma femme, Lynette Tapia. Nous nous sommes mariés en 1996. À cette époque, au Metropolitan, je tenais de petits rôles, tel que le quatrième Juif dans Salomé ou Sergio dans Fedora (avec Placido Domingo et Mirella Freni).
À 24 ans, j’ai remporté le concours Operalia de Plácido Domingo et fais mes débuts en Europe. En 1997, j’ai participé à Falstaff à Cologne.
Puis, avec ma femme, nous avons gagné le premier prix de l’Académie des vins de Bordeaux ! Une très bonne occasion pour approfondir la connaissance des vins (rires).
À Bordeaux, surtout, j’ai interprété Elvino dans La Sonnanbula avec Natalie Dessay et Tonio avec Annick Massis dans La fille du régiment. À la même époque, ce fut également Cenerentola à l’Opéra de Montréal et Le barbier de Séville à Vancouver. Ont suivi les mêmes opéras à Bordeaux, Berlin, Vienne, Turin, Gênes et à l’Opéra Garnier.

Au début, votre univers était donc principalement celui de Rossini ?

Rossini, mais aussi Bellini et Donizetti : Les puritains, La Somnambule, Don Pasquale, L’élixir d’amour et La Fille du régiment. À cette époque, j’interprétais également du Mozart : Don Giovanni à la Scala, Cosi fan tutte, Tamino et L’enlèvement au sérail à Bordeaux.
En 2007, mon histoire avec l’opéra français commence avec La Juive à l’Opéra de Paris. C’était avec Annick Massis, Anna Caterina Antonacci, Neil Shicoff, Robert Lloyd… Cinq mois après, je faisais mes débuts dans Arnold de Guillaume Tell avec l’Académie de Santa Cecilia à Rome. Puis il y a eu Manon de Massenet au Teatro Colon de Buenos Aires, Werther à Francfort et Les Huguenots à Bruxelles.
Mon premier Hoffmann fut, en version de concert, à la salle Pleyel à Paris, avec Marc Minkowski, Sonya Yoncheva et Laurent Naouri. C’était la version la plus longue possible réalisée par Jean-Christophe Keck ! (rires)

Nicolai Gedda et Georges Thill sont mes modèles

John, comment fait-on, lorsque l’on est américain comme vous, pour avoir un français chanté aussi compréhensible, une prononciation aussi claire ?

J’ai étudié le français au lycée et puis lors de mon passage au Metropolitan Opera. Mon premier opéra français a été La fille du régiment avec ma femme et dirigé par Richard Bonynge à l’Opera Pacifique (en Californie), à Miami et en Arizona. À cette époque, tout mon répertoire était, soit en italien, soit en allemand. Petit à petit, j’ai amélioré mon français avec des coaches de diction, français, canadiens, suisses… Et j’ai toujours admiré cette langue.
Par ailleurs, je me suis beaucoup inspiré des enregistrements de Nicolai Gedda, de son phrasé, de sa douceur, de ses cadences. Georges Thill et lui sont mes modèles. Ce n’était pas quelqu’un qui interprétait les rôles tout le temps en pleine voix. Il était capable de chanter lyrique, mais également avec la douceur que demande le style français.
Dans l’opéra français, la douceur, les sons piano ou pianissimo sont écrits. Il m’arrive de lire sous la plume de critiques, que ma voix n’est pas particulièrement belle ou particulièrement bien projetée. Je fais tout ce qui est écrit sur la partition ! Quand j’ai besoin de chanter « héroïquement », je chante en pleine voix. Quand j’évolue dans l’opéra français, j’aime alterner pleine voix et nuances. L’opéra français, c’est la nuance, la tendresse, la délicatesse du style et des couleurs ! Ce n’est pas seulement une dynamique, mais également une bonne utilisation des mots, des phrases, des consonnes et des voyelles.

À cet égard Hoffmann est un rôle idéal…

C’est un rôle très poétique. C’est comme Werther, le rôle le plus romantique jamais écrit. Le texte de Goethe est incroyable. J’aime Werther et des Grieux, ce sont des poètes.

Dans l’opéra français, on sent aussi que vous venez du bel canto.

Évidemment, je viens du monde du bel canto ! Et, par conséquent, j’exprime la langue et la technique françaises avec l’aide du style italien, en utilisant la technique du bel canto, notamment le legato.
On doit prononcer les mots français tout en conservant la ligne legato. Si l’on ne respecte pas ce legato, si l’on chante de manière saccadée, cela donne l’impression que l’on va à la note et pas au mot ! Beaucoup de chanteurs, sur les notes hautes, se mettent à chanter plus fort. (John illustre avec la phrase « Ô dieu de quelle ivresse ») Si l’on fait cela, c’est bizarre avec la langue et c’est ridicule ! Cela contrarie la ligne, l’élégance de la langue. Pour moi, c’est une erreur !

Dans le bel canto, vous avez exploré des œuvres de compositeurs italiens qui ont écrit en français pour Paris telles que La favorite de Donizetti ou Guillaume Tell de Rossini.

J’ai également chanté Les vêpres siciliennes de Verdi. J’espère chanter Jérusalem un jour, et aussi Don Carlos. En fait, j’aimerais faire toutes les versions françaises ! Dans mon planning, Les vêpres siciliennes sont prévues à Munich. La dernière fois que j’ai interprété cet opéra, c’était à Rome en 2019.

Cet opéra est tellement beau…

Oui, mais le rôle est long et dur, car il faut beaucoup chanter en pleine voix. Cela étant, c’est encore plus difficile dans la version italienne. Dans la langue italienne, il faut plus souvent utiliser la pleine voix, car le traitement des voyelles est différent.
En 2014, j’ai interprété Arnold de Guillaume Tell dans la version italienne avec Gianandrea Noseda, d’abord à Turin, puis à Stresa, Edinburgh, puis en Amérique. J’avais alors cherché une manière de parvenir à la même douceur en italien qu’en français… une « dolcezza ». Je n’ai pu le faire que parce que j’avais cette expérience avec la version française.

Encore dans le bel canto, il y a Pollione de Norma que vous allez incarner à Madrid après l’avoir enregistré (avec Cecilia Bartoli et Sumi Jo). C’est un rôle lourd…

En fait, il n’y a que le grand air du début qui est lourd, et aussi le trio qui l’est un peu moins.
Là aussi, il ne faut pas l’interpréter de manière trop héroïque, notamment à la fin. Il faut y mettre de la tendresse, celle que Pollione a découverte durant toute l’histoire. J’aime bien ce rôle de bel canto avec ses aigus et ses variations.

Un autre compositeur qui a compté pour vous, c’est Meyerbeer, un contemporain de Rossini.

Oui j’ai, en effet, chanté dans Les huguenots et Le prophète. Le prophète, je l’ai chanté en 2017 d’abord à Essen avec ma femme (il existe un DVD de ces représentations), puis à Toulouse.
J’ai d’ailleurs eu l’impression de chanter deux opéras différents, car ce n’était pas les mêmes versions. J’espère faire mes débuts à Bordeaux, cet été, dans Robert le Diable avec Marc Minkowski. A priori ce sera en version de concert, ce qui est plus simple, car l’on n’a pas besoin de le mémoriser. Mais, je vais néanmoins essayer de faire ressortir le vrai personnage de diable de Robert.

C’est important de reprendre Meyerbeer, ce compositeur qui a énormément marqué l’histoire de l’opéra de Paris et qui, aujourd’hui, a pratiquement disparu des affiches ?

Oui c’est vraiment dommage !

En 2007, j’ai appris à me servir de la partie centrale de ma voix

Revenons à Rossini. Vous êtes parti de rôles légers, comme le Comte Almaviva du Barbier de Séville, ou Don Ramiro dans La Cenerentola, pour vous diriger ensuite vers des rôles plus lourds tels que ceux d’Arnold et Otello.

En effet, Otello, est un rôle beaucoup plus lourd. J’ai dû alors développer la partie centrale et la partie basse de ma voix.
En fait, ma voix n’a pas changé, mais, auparavant, je la concentrais beaucoup dans les aigus et n’utilisais pas suffisamment la partie centrale de la voix. Puis je l’ai vraiment été mise en évidence lorsque j’ai interprété Léopold à l’Opéra de Paris en 2007. Avec cette découverte, j’ai pu commencer à changer de répertoire et à aller vers des rôles tels que Werther et des Grieux.
Lorsque j’ai interprété Otello, puis La donna del Lago à la Scala de Milan, je me suis rendu compte que je pouvais approcher les rôles plus « baryténor », sans en avoir pourtant la voix. Ce n’est pas ma spécialité, mais l’on s’est rendu compte que je pouvais le faire.
Néanmoins, cela modifie la position de la voix et il est très difficile, juste après d’interpréter un rôle très aigu.
Pour Otello, cela va du la bémol jusqu’au ré naturel, la note qui est avant le contre-ré. Il est donc impossible d’enchaîner avec La Somnambule juste après.
Ce qui est drôle, c’est que sur YouTube, mon personnage est un genre de « ténor estremo », car j’ai fait des choses presque impossibles et suis allé de rôles légers à des rôles héroïques. (rires)

En ce qui concerne les rôles français, il y a aussi eu Faust et Roméo…

En effet ! J’avais d’ailleurs un contrat à Valence où je devais rechanter Faust, mais cela sera finalement remplacé par Les contes d’Hoffmann. Faust se substituait déjà à Benvenuto Cellini, un rôle que j’ai donné auparavant à Barcelone, mais la production avait été annulée.
Roméo, je l’ai interprété à Salzbourg. Ce rôle est un rêve. Pour moi, il a été le précurseur de des Grieux, de Werther, de Hoffmann.
Hoffmann reste aujourd’hui mon rôle le plus fameux ! Bien sûr, j’ai apprécié les rôles rares, mais on ne peut pas bâtir une carrière uniquement avec des rôles rares.
J’aimerais tant aussi reprendre des rôles tels que Rigoletto, Traviata, Tamino dans des grandes maisons !

L’an prochain, je ferai mes débuts dans le rôle d’Eleazar de La Juive à l’Opéra de Genève. Et cet été, si tout se passe bien, ce sera Bacchus de Massenet à Montpellier. C’est un rôle à la fois intéressant et héroïque et j’adore ça ! Cette fois, ce sera en version de concert, mais j’aimerais participer un jour à une production de Bacchus mise en scène. Enfin, comme je l’ai dit, Carmen a été annulée à l’Opéra comique, mais j’ai bon espoir que cela soit reprogrammé.

La prise de rôle de Don José est un rêve pour moi !

Don José est un rôle dans lequel on a l’habitude d’écouter des voix beaucoup plus lourdes que la vôtre…

En effet ! C’est une prise de rôle pour moi et c’est aussi un rêve ! Il y a tant de belles scènes, l’air « la fleur, que tu m’avais jetée », la fin si dramatique…
Bien sûr, je ne vais pas chanter ce rôle de façon vériste, mais forcément, avec plus de douceur et, évidemment, en balance avec l’orchestre. Cela dépendra assurément du chef d’orchestre et de sa façon d’aborder cette douceur.
Pour moi, le plus important est d’exprimer le vrai style français. En revanche, je n’ai pas encore vu la partition que nous allons utiliser. On ne doit pas oublier que Carmen a tout de même été créée à l’Opéra Comique !

© John Osborn

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