Opéra
Une Clémence de Titus pétrie d’émotion à la Philharmonie de Paris

Une Clémence de Titus pétrie d’émotion à la Philharmonie de Paris

29 November 2022 | PAR Hannah Starman

Accompagnée de son ensemble instrumental Les Musiciens du Prince-Monaco et entourée de cinq solistes de haut vol, la diva romaine Cecila Bartoli incarne Sextus avec virtuosité et fougue dans la version concertante de l’opéra de Mozart devant une salle comble et un public chaleureux.

Cecilia Bartoli, diva virtuose et studieuse

Cecilia Bartoli évoque incontestablement le sens étymologique du terme diva, à savoir un être investi de lumière céleste en indo-européen commun et dont est issu le terme latin déesse. La maîtrise souveraine de son instrument, la vitalité de sa présence sur scène et son charisme enveloppant lui valent l’admiration d’un public dévoué qui ne se limite guère aux seuls aficionados de l’art lyrique. Depuis plus de trente ans, la mezzo italienne poursuit sa curiosité créatrice et son appétence pour la transmission avec une générosité rare et un professionnalisme sans compromis. Lauréate de cinq Grammys, Cecilia Bartoli vend autant de disques que les stars de la pop alors qu’elle interprète la musique ancienne, souvent très peu connue ou jamais enregistrée.

Bartoli rend ainsi hommage, en 2008, à l’immense Maria Malibran pour le bicentenaire de sa naissance avec un album et un spectacle intitulés Maria. Elle ressuscite Antonio Salieri dans The Salieri Album (2003), l’opéra interdit par le Vatican dans Opera proibita (2005) et Agostino Steffani dans Mission (2012). La cantatrice fait découvrir l’œuvre de Steffani à son amie, la romancière Donna Leon, qui écrira Les Joyaux du paradis, un roman à suspense dédié à ce castrat, compositeur, prêtre et diplomate baroque oublié pendant des siècles.

La rhétorique de l’amour de Porpora à Mozart

Toujours à la recherche de nouveaux défis, Cecilia Bartoli s’attaque ensuite au répertoire de Nicola Porpora et d’autres compositeurs de l’école napolitaine des castrats dans Sacrificium (2010) et consacre l’album Farinelli (2020) au plus célèbre de ces garçons napolitains sacrifiés à la musique. Les compositions pour les castrats sont une vraie épreuve pour les femmes car malgré leur mutilation, les castrats sont des hommes avec une capacité pulmonaire qui est 10-12% supérieure à celle des femmes. Grâce à sa formidable technique, Bartoli maîtrise son souffle pendant presque 30 secondes dans l’air “La festa d’Imeneo” et s’approche ainsi du rendu vocal des castrats.

La Clémence de Titus de Wolfgang Amadeus Mozart n’exige, certes, pas une telle prouesse vocale. Toutefois, l’opera seria en deux actes composé à Prague en 1791 à l’occasion du couronnement de Leopold II comme roi de Bohême est une œuvre profonde, initiatique, presque testamentaire, qui requiert de ses interprètes une grande capacité à transmettre des émotions déchirantes. Écrite seulement trois mois avant la disparition de Mozart, La Clémence de Titus interroge la figure du souverain et déploie un parcours initiatique parsemé d’écartèlements entre les enjeux du pouvoir, de l’amour et de l’amitié. La Clémence de Titus est une ode aux cœurs purs et l’ensemble de musiciens exceptionnels aux voix agiles œuvre pour la victoire de l’amitié contre le pouvoir et de la clémence contre la vengeance au travers d’airs aussi poignants qu’éblouissants.

Des solistes engageants pour incarner l’émotion

Cecilia Bartoli incarne Sextus, le personnage tiraillé entre sa passion pour Vitellia et son amitié pour Titus, avec précision dans la nuance et abandon dans l’émotion que lui permet son incomparable technique. Son jeu sur scène est habité et captivant, tant par la mimique de son visage que par les mouvements de son corps.

Face au Sextus de Bartoli, la jeune et talentueuse Alexandra Marcellier peine à convaincre dans le rôle de celle qui lui aurait infligé de tels tourments. Vocalement, elle est présente, même si elle semble parfois souffrir dans les graves, mais techniquement, elle s’écarte un peu trop de la pureté qu’exige la musique de Mozart. Scéniquement, elle ne semble pas non plus à l’aise dans le rôle d’une amoureuse éconduite dévorée par la haine et la vengeance qui la poussent à faire tuer celui qu’elle aime.

En revanche, Lea Desandre, dans le rôle d’Annio, traduit les émotions difficiles – tristesse, stupéfaction, amour, peur – avec une clarté fluide et constante dans tous les registres. Sa voix riche et veloutée est particulièrement bien assortie à celle plus fraîche, mais tout aussi pure de Mélissa Petit qui joue Servilla, sa douce courageuse à la peau laiteuse et la seule femme sur scène à porter une robe, blanche de surcroît.

John Osborn est visiblement à l’aise dans le rôle de Titus, le souverain éclairé qui “sait tout, absout tout, et pardonne tout.” Son ténor ample au timbre lumineux a tout pour séduire. On regrette que sa gestuelle soit entravée par sa tablette-partition qu’il tient avec les deux mains. Il cherche à compenser l’absence des gestes des mains avec un travail des jambes qui, sans être dépourvu d’intérêt, ne permet pas la même éloquence. La voix puissante et riche de Peter Kalman, le baryton-basse dans le rôle de Publio, complète remarquablement l’ensemble.

Un orchestre sur mesure renoue avec la tradition des musiques de cour

À l’initiative de Cecila Bartoli, l’ensemble Les Musiciens du Prince-Monaco voit le jour en 2016. Réunissant les meilleurs musiciens internationaux sur instruments anciens sous la direction musicale de Gianluca Capuano, l’orchestre vise à renouer “avec la tradition des musiques de cour de grandes dynasties princières, royales et impériales à travers l’Europe des XVIIe et XVIIIe siècles.” Pari réussi car à plusieurs reprises, ce vendredi 25 novembre, l’orchestre est acclamé par le public unanime pour sa justesse, la sensibilité de son accompagnement et les solis instrumentaux comme celui du cor de basset ou de la clarinette qui répondent aux personnages sur scène.

Il n’y a pas de doute : quel que soit le répertoire qu’elle nous propose, Cecilia Bartoli sait offrir à son public un moment d’exception plein d’émotion et de nouvelles découvertes.

Visuel : © HS

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Hannah Starman

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