Danse
An Immigrant’s Story, le trajet d’un corps dans le temps de Wanjiru Kamuyu

An Immigrant’s Story, le trajet d’un corps dans le temps de Wanjiru Kamuyu

29 November 2022 | PAR Camille Curnier

C’est à Vélizy, et plus précisément au théâtre de l’Onde, que l’on retrouve l’artiste et chorégraphe Wanjiru Kamuyu dans une danse contemporaine chargée d’histoires.  Accompagnée de Nelly Celerine en langue des signes, elle nous livre son récit et celui de milliers de personnes qui immigrent chaque année. 

Une histoire qui se veut inclusive et accessible

C’est en été 2017 que la chorégraphe fait la rencontre d’une soixantaine de réfugiés dans le cadre d’un projet socio-culturel. Venus pour la plupart d’Afrique, d’Europe de l’Est et du Moyen-Orient, elle fait face à des témoignages marquants qui l’amènent à questionner sa propre existence de femme noire et “d’étrangère” dans la société française. C’est de ce constat que naîtra quelques mois plus tard An Immigrant’s Story.

 “J’ai souhaité interrogé mon parcours et mon ressenti d’appartenance avec celle d’autres personnes étrangères, avec leurs parcours et histoires aussi divers que complexe.”

Originellement créée pour être jouée en solo, nous assistons ce soir à une tout autre performance puisque l’artiste n’est plus seule sur scène mais est accompagnée de Nelly Celerine. Danseuse, chanteuse et comédienne, elle participe à la nouvelle performance en tant qu’interprète en langue des signes. Un changement que Kamuyu juge important et nécessaire puisqu’il permet d’ouvrir son spectacle à un public souvent délaissé et rendre la performance plus inclusive. L’artiste raconte dans un entretien avec Claire Astier qu’elle a toujours eu une certaine sensibilité pour l’accessibilité au langage. Sa mère était professeur pour personnes malvoyantes et elle-même a eu l’opportunité de travailler comme interprète de langue des signes française (LSF). C’est la première fois qu’elle met en place un dispositif de ce genre et elle souhaite pouvoir le faire désormais sur toutes ses performances. Cependant, Nelly Celerine ne jouera pas seulement le rôle d’interprète pendant cette heure, elle fera partie intégrale de l’œuvre et de la chorégraphie. Elle devient un personnage qui danse, chante et joue et s’approprie le récit de Kamuyu pour en faire aussi le sien.

“J’écris mon histoire, je prends ma place”

Nous commençons le voyage en Afrique, probablement de là où Wanjiru Kamuyu vient, le Kenya. C’est vêtue d’un haut en pagne aux épaules bouffantes et aux motifs géométriques que nous retrouvons l’artiste sur scène. Elle chante dans une langue venue d’ailleurs et se met à danser devant nous. C’est habitée par ces mouvements fluides et vivants qu’elle commence à nous raconter son histoire. La scène est froide avec quelques lumières seulement pour l’éclairer et des chaises retournées qui délimitent l’espace. Elle semble enfermée pour le temps qui suivra entre ces pieds de chaises en métal, braqués vers elle, enfermée dans son histoire sans pouvoir en échapper.  Les bruits sont sourds et étouffés, comme si l’on ne percevait plus le son à l’air libre. Sommes-nous sous l’eau, dans la cale d’un bateau ou à moitié conscients allongés sur le sol ?  Une chose est sûre, c’est que ce n’est pas à une histoire douce et tranquille à laquelle nous allons assister, mais à un récit empli d’expériences tragiques et de souvenirs douloureux. Kamuyu nous emmène au travers de sa performance au centre d’un voyage et d’un trajet difficile, entre immigration et exil. Durant presque une heure nous parcourons l’histoire qu’elle et tant d’autres ont eu à vivre en arrivant sur des sols inconnus et en faisant face à des regards étrangers.

Dans An Immigrant’s story, il n’y pas que la danse qui fait vocabulaire. L’association des codes de la danse, du chant, de l’oratoire et du jeu est une nécessité pour l’artiste qui s’est construite autour d’une multiculture kenyane-américaine valorisant une articulation harmonieuse des talents. C’est autant l’envie de partager sa culture que de rendre accessible à tous et toutes son spectacle qui l’ont motivée à interpréter An Immigrant’s Story dans ces disciplines pourtant distinctes.

“Ce sujet est si chargé politiquement que j’ai eu envie de cibler la pensée des spectateurs non seulement avec mon corps, mais aussi avec mon texte. C’est important pour moi.”

À mesure des époques rencontrées, ses expressions changent, ses mouvements s’adaptent et elle doit à nouveau se reconstruire de zéro. Dépossédée de son corps, elle ne devient que l’ombre d’elle-même. Son image est projetée sur le mur sous les feux des projecteurs et son masque change à nouveau. Des souvenirs du passé qu’elle souhaite nous montrer puisqu’ils font encore aujourd’hui malheureusement encore partie de notre réalité. L’importance est de confronter le spectateur à une expérience qu’il n’a pas vécue pour la comprendre. Certains mouvements interrogent le public sur des images qu’ils connaissent. Des visages drôles et bouffis, un charleston cynique et satyrique dégageant la même sonorité que dans les années 1920 quand Joséphine Baker performait au théâtre des Champs-Élysées. Avec Celerine, elles deviennent des stéréotypes, sexualisées entre fétichisme et exotisation  du corps.

La performance nous confronte à nos privilèges de choix, si pour beaucoup les déplacements effectués restent des volontés réfléchies, certains et certaines doivent bouger pour leur survie. Tout le monde se déplace, mais les étiquettes qui nous sont attachées ne sont pas les mêmes et l’apprentissage des injonctions et des cultures n’est pas souvent facile.

An Immigrant’s story ne raconte pas seulement l’histoire de l’immigration mais nous fait parvenir les récits collectés par Kamuyu lors de ces dernières années. L’artiste passe alors dans l’ombre au derrière de la scène et récite ces histoires collectées tandis que Celerine s’avance pour signer et donner vie à ces mêmes récits dans la lumière. Shukuru : « Je suis Congolais et j’habite à Kakuma dans un camp de réfugiés au Kenya. Je désire rester en Afrique. N’importe où mais qu’en Afrique »

 

Visuel : © Pierre Planchenault

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