Essais
Jusqu’au ira la Turquie? : Jean François Colosimo se pose la question dans  «Le Sabre et le Turban»

Jusqu’au ira la Turquie? : Jean François Colosimo se pose la question dans «Le Sabre et le Turban»

15 February 2021 | PAR Jean-Marie Chamouard

Jean François Colosimo est un historien et essayiste français. Il est également théologien orthodoxe. Dans Le Sabre et le Turban il réalise une analyse historique et géo politique de la Turquie moderne.

Pour comprendre la Turquie contemporaine et le régime de Recep Tayyip Erdogan, Jean François Colosimo revient sur son histoire. A la conquête ottomane fait suite le long déclin de l’empire puis son effondrement à la fin de la première guerre mondiale. Il décrit la guerre d’indépendance, la naissance de la république, la modernisation forcée présidée par Mustapha Kemal, «Atatürk». Quasiment réduite à néant lors du traité de Sèvres en 1920, la Turquie moderne est née «du sombre désastre de l’empire et du trou noir du génocide arménien». Les minorités ethniques mal assimilées ayant été tenues pour responsable de la fin de l’empire, la république se voudra ethniquement homogène contraignant à l’exil la minorité grecque. Cette fragile identité repose sur le nationalisme turc et sur l’islam sunnite transformé en religion officielle, expliquant les longs conflits avec les Kurdes et les Alevis. Le nationalisme et l’islamisme, «le Sabre et le Turban» sont les deux faces d’un même miroir. Les coups d’état et les dictatures militaires ont favorisé la venue au pouvoir des Islamistes de l’AKP. Au-delà de leurs oppositions, il existe bien un mimétisme inversé et une fascination d’Erdogan, le refondateur, pour Mustapha Kemal, le fondateur, d’autant que tous deux ont dirigé des régimes autoritaires. La politique étrangère de la Turquie est largement traitée : à partir de 1945 elle est marquée par une alliance étroite avec les USA et par les tergiversations de l’Union Européenne vis-à-vis d’une éventuelle adhésion à l’Europe. Mais pour la Turquie il existe deux paradigmes qui restent inchangés, d’Atatürk à Erdogan: rompre « l’encerclement» en particulier grec en Méditerranée et conjurer le péril kurde. La fin du livre est consacrée à la dérive autoritaire et inquiétante d’Erdogan à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.

Ce livre permet une compréhension de la situation politique et géopolitique actuelle de la Turquie. Jean François Colisimo donne une vision plus réaliste de la laïcité, selon Atatürk, qui consistait à faire du sunnisme l’unique religion d’état sans véritablement les séparer. Il éclaire, sans bien sur le justifier, le négationnisme turc du génocide arménien: la négation du génocide est devenue, de Kemal à Erdogan un tabou religieux et identitaire, dont la remise en question «serait dangereuse pour l’unité du pays». Il décrit très bien le rôle géopolitique majeur de la Turquie pendant la guerre froide et il replace l’expansionnisme turc actuel dans son contexte historique On pourrait regretter que le livre ne parle de la Turquie que par la description du pouvoir, et que le regard historique soit uniquement à charge. Peut être pourrait- il plus parler des forces progressistes et démocratiques turques, dans un pays qui reste politiquement très divisé. Mais on ne pourra qu’être d’accord sur la conclusion du livre: pour que naisse une Turquie pacifiée et véritablement démocratique un authentique travail de mémoire sera nécessaire.

Jean-François Colosimo, le Sabre et le Turban. Jusqu’au ira la Turquie?, les éditions du Cerf, 211 pages, 15 Euros, sortie en Décembre 2020.

visuel : couverture du livre

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Jean-Marie Chamouard

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