ONE SONG – Histoire(s) du Théâtre IV, Miet Warlop
Depuis 2018, Milo Rau, le directeur du NTgent demande à des artistes de définir leur histoire du théâtre. Il s’est prêté en premier au jeu, suivi de Faustin Linyekula, puis Angélica Liddell. Pour son Histoire(s) du théâtre, Miet Warlop nous a emmenés dans une compétition de gym… musicale qui est une allégorie du collectif et du don de soi au plateau. Sportif !
Milo Rau est également le fondateur du Manifeste de Gand qui compte 10 points. Le premier est : “On n’en est plus à représenter le monde. Il faut le changer. Le but n’est pas de peindre le réel, mais de rendre la représentation elle-même réelle.” C’est exactement ce que Miet Warlop fait en nous plaçant devant une scène pleine à craquer : un gradin sur lequel des supporters survoltés sont assis debout, une commentatrice à fond qui mange ses mots derrière un micro de stade, et bien évidemment des sportifs sur la ligne de départ. Là où ça devient encore plus rigolo c’est que chaque agrès est relié à un instrument de musique. Chaque danseur-musicien doit donc jouer et en même temps faire du sport. Il y a même un pom-pom boy super efficace. La compétition peut donc commencer !
Le titre exact de l’Histoire(s) du Théâtre IV est One Song. Et là encore Miet Warlop annonce la couleur. Une seule chanson est délivrée par un interprète lancé sur un tapis roulant le plus souvent à pleine vitesse. Le texte dit :
Sauve qui peut
Avant que tu crèves
Avant que je crève
Avant qu’on crève tous
Toc, toc, toc,
Qui est là ?
C’est ton chagrin passé
Impossible
Comme au bon vieux temps Tu sais
Le chagrin c’est un rocher
Dans ta tête
C’est dur, c’est âpre C’est inexorable
C’est salé,
Je le sens à cette goutte
Qui roule sur mon nez
Le chagrin c’est une masse
Et depuis tout ce temps
Je chauffe la roche
Je façonne la roche
Je déplace la masse
Je le sens à cette goutte
Qui roule sur mon nez
Le chagrin c’est une masse
Dans ta tête
C’est dur,
C’est âpre
Métamorphose
Mûrir et muer
Le chagrin se change en raisin sucré
A cet instant précis
Alors que tous se taisent,
Le raisin éclate
Le chagrin reste un fruit
Le chagrin reste un fruit
Le chagrin reste un fruit
Le chagrin reste un fruit
Le chagrin reste un fruit
La beauté de ce texte et sa noirceur sont invisibles pendant la pièce. Il y a un boucan de tous les diables. Pendant que l’une joue du violon sur une poutre, un autre fait des abdos en jouant du violoncelle, un troisième est accroché à un espalier pour attraper un clavier et le dernier court après une batterie déconstruite. La musique apparaît rock, plutôt indé. Elle harangue la foule complice.
Quel rapport avec le théâtre ? Tout évidemment. Nous avons une unité de temps, de lieu et d’action. Un public qui regarde cette boucle se faire, cette chanson être chantée inlassablement sans que personne ne soit lésé. Le quatrième mur est aboli dans une recherche de l’adhésion du public, saisi par l’effort insensé et les prises de risques. Cela s’appelle le don de soi au plateau.
Miet Warlop adore travailler avec la musique, pour elle c’est un élément non verbal qui fait sens.
Dans One Song, il y a de la tragédie, de la générosité, de l’humour, du rythme, et tout cela ce sont les points clés de l’Histoire(s) du théâtre IV, une vision collective du spectacle. Nous ajouterons que la beauté fait partie de cet ensemble. Elle surgit dans les interstices. Quand le pom pom boy tourne sur lui même inlassablement avec un panneau “If” (si), quand la violoniste exsangue plante le violoncelle dont elle a hérité dans la poutre, cela a des allures de grands drames, et ce sont bien eux qui font les plus grandes histoires à raconter au théâtre.
Visuel : ONE SONG – Histoire(s) du Théâtre IV, Miet War lop, 2022 © Reinout Hiel
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