Jazz
La joie d’Anne Paceo, la radicalité d’Emler et Liebman, la classe de Ron Carter et la world de Joce Miennel en clôture de Jazz sous Pommiers

La joie d’Anne Paceo, la radicalité d’Emler et Liebman, la classe de Ron Carter et la world de Joce Miennel en clôture de Jazz sous Pommiers

02 June 2019 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Voilà, c’est fini, et pour Denis Le Bas, le directeur du Festival, un seul mot résume la semaine  : « la joie ». La 38e édition a fait le plein et a battu des records de billetterie. Un bilan concentré dans la programmation volontairement “diversifiée” du dernier jour.

 

Retrouver la résidente du Théâtre Municipal de Coutances est toujours un bonheur. La batteuse Anne Paceo est prolixe. Pour cette édition, elle propose deux créations : Rewind et hier soir, au Théâtre, Alegria . Un nouveau projet dans la droite ligne de son premier album Circles (2016) où le jazz est très technique, la structure classique et les tentations pop plus effacées que sur Bright Shadows. A la batterie, Anne Paceo, à la guitare Daniel Santiago, à la basse Frederico Heliodoro et au piano, présent depuis Circles, Leonardo Montana . Un casting parfait.

Le résultat est assez évident, dans une communion magique avec le public. Les morceaux se déroulent dans une recherche harmonique. Pas d’expérience dans ce Alegria qui veut avant tout générer de la beauté et de la joie. Ce sont sur les titres écrits par Anne que le quartet excelle le plus car elle offre plus de variations, moins d’évidences. “At night” à l’entame proche de “Piano Phase” de Steve Reich est une petite merveille.  Elle raconte avoir rencontré Daniel et Federico au Brésil et avoir rêvé de “nous réunir”. Chose faite dans des titres qui frisent la samba et où la voix se fait ( parfois trop) présente. L’occasion de la découvrir encore plus fine et plus puissante avec son instrument dont elle a désormais une maîtrise parfaite

 

C’est justement guidés par l’héritage de Steve Reich que nous entrons dans la Cathédrale pour le duo composé de Andy Emler et Dave Liebman. Leur Journey Around The Truth met Andy Emler à l’orgue et Dave Liebman aux saxophones mais… à 35 mètres l’un de l’autre. L’acte est ici radical et performatif. Nous sommes dans l’antre de la musique contemporaine et il faut saluer l’audace immense des programmateurs d’oser le jazz expérimental dans un festival qui, s’il ne déborde jamais des cadres du jazz, est sur une programmation généralement plus ouverte. Le dialogue est une suite continue sans refrain ni reprises de thèmes. Là encore, les boucles de Reich ou de Glass sont là, comme posées en parents. Eux deux sont plutôt comme des frères, ils jouent ensemble depuis 30 ans et s’amusent à confronter David et Goliath. Comment allier un instrument mobile, le saxo à l’immensité de l’orgue, instrument qui avale son musicien ? Les longues nappes descendantes de Liebman viennent entrechoquer le tourbillon de Emler, dans un flux continu, et c’est très addictif. Cette pièce qui est une commande de Radio France est d’une audace assumée. 

Journey Around The Thruth est sorti le 8 mars 2019, label Signature aux éditions Radio France.

Un peu plus tard ce soir là, on se glisse, un peu fébriles dans la Salle Marcel-Hélie pourtant surchauffée par la canicule. Il s’agit d’assister au concert de Ron Carter, 82 ans, contrebassiste de Miles Davis. La crainte était grande. Son jazz a t-il gardé en modernité ? Alors, en fait.. oui. Le résultat est sublime. Non seulement Carter n’a rien perdu de sa dextérité mais il a, depuis si longtemps, complètement fait corps avec son instrument. Son jeu ultra naturel ose tout, y compris chercher le son d’une guitare. Le fantôme de Miles est là, irremplaçable. D’ailleurs, le quartet ne compte pas de trompette. Renee Rosnes est au piano, Jimmy Greene au saxophone ténor et Payton Crossley à la batterie. L’écriture est ici super classique bien sûr mais tellement bien exécutée ! Les musiciens se prêtent à une traversée dans le répertoire de Carter et vont jusqu’à jouer l’iconique My Funny Valentine sans chercher à remplacer Miles. Chacun est éblouissant ici, particulièrement les pas de deux entre Carter et Rosnes aux écoutes éblouissantes. Les reprises sont ici au cordeau, les solos magnifiés. Une plongée assumée dans tous les clubs de Nouvelle-Orléans et dans ceux de New York depuis les années 50. 

A réécouter à l’infini, Foursight devrait sortir en juin chez In+Out Records et à revoir en replay ici :

Et c’est en douceur que nous fermons la 38e édition, au Théâtre avec le flûtiste Joce Mienniel et son Babel qui associe Amanat Ali Kawa à la sitar, Iyad Haïmour au oud et au kanoun,  Antony Gatta aux percussions orientales, Abdallah Abozerky au saz et Joachim Florent à la contrebasse. La distribution parle d’elle même, Babel est une traversée orientale. Joce Mienniel joue la ligne de tête qui vient être remplie par les différentes guitares et percussions. Une exploration des sonorités traditionnelles qui assume son aspect contemplatif.

 

La prochaine édition aura lieu du 16 au 23 mai 2020, notez-le !

 

Visuel : ©ABN

« Luca » de Franck Thilliez : Science sans conscience n’est que ruine de l’âme
EFFROYABLES RECITS, MACHINE IMPITOYABLE : LE GRAND CAHIER PAR ULRICH RASCHE
Avatar photo
Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration