Au 41e festival Cinéma du réel, le stimulant “Campo”, en Compétition Internationale
Présenté au sein du Festival international de films documentaires, ce long-métrage dresse le portrait d’un territoire – la base militaire Campo de Tiro – en faisant dialoguer avec talent tous les éléments qui le constituent. Cinéma du réel se poursuit jusqu’au 24 mars.
La programmation de Cinéma du réel 2019 continue à dévoiler ses documentaires inédits, et à projeter certaines pépites anciennes dans ses sections Front(s) populaire(s) – dédiée aux travaux engagés, et aux questionnements qu’ils portent – ou Fabriquer le cinéma – consacrée aux making-ofs – entre autres. Et les jurés de sa Compétition Internationale doivent choisir, avant le samedi 23 mars, qui distinguer par les prix, parmi les vingt-trois courts et longs-métrages documentaires présentés cette année au sein de la section : des films dont les durées vont de seize minutes à deux heures quatre, issus de tous les continents. Au sein de cette catégorie, le portugais Campo, signé par Tiago Hespanha (producteur et scénariste sur L’Usine de rien, présenté en 2017 à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes) marque par son ambition, qui court le long d’images toutes simples, en apparence.
Un territoire et ses occupants
Ce film qui prend appui sur un espace “naturel” portugais – le Campo de Tiro, plus grande base militaire d’Europe, située au Sud de Lisbonne – apparaît très contemporain dans sa démarche, et en même temps assez épuré et pas du tout encombré d’effets. Le cinéaste y filme les êtres humains qui viennent occuper cet espace, et se servir de lui pour accomplir leurs objectifs. Certains de ces hommes s’entraînent au combat, et usent de ce monde naturel pour se dompter eux-mêmes, ou dompter leur “nature” à eux, tandis que d’autres viennent regarder patiemment les différents animaux et végétaux qui peuplent cet univers.
En prenant juste le temps d’observer, lors de brèves scènes, ce paysage et ceux qui s’y animent, et en usant d’un montage intelligent, pas démonstratif et avec le territoire naturel décrit comme sujet central, le réalisateur parvient à faire dialoguer les différents éléments vivants qui l’occupent, en laissant les perspectives toutes ouvertes. On voit certains des militaires se donner à fond lors des exercices de nuit, où, dans ce terrain à l’écart, les coups de feu sonnent très fort. D’autres visiteurs cernent la nature qu’ils ont devant eux autrement, en se penchant pour recueillir des spécimens de batraciens dans l’eau. De temps à autre, ces points de vue se croisent, comme lorsque les soldats, réunis dans leur baraquement, observent des faons venus des bois pour les regarder. A d’autres moments, la nature, au calme, est laissée seule à l’image et parle d’elle-même.
Élévation vers l’abstrait
Le réalisateur semble aussi essayer de traquer la “mythologie” de ce lieu : cependant, sur ce point, ses séquences paraissent trop courtes pour laisser le spectateur se poser face aux paysages, et lui donner le temps de se projeter dans les couches historiques qui recouvrent l’endroit, ou dans son passé, et de mêler ses pensées à la voix-off qui conte, dans le film, la légende de Prométhée. De même, la taille, et partant le poids, des installations militaires présentes auraient nécessité davantage de description, pour apparaître comme des éléments vraiment parlants, vecteurs de questions.
Néanmoins, le poids du ciel, qui couve cet endroit pourvu de ses règles propres – naturelles et humaines – apparaît au final très présent : plus que des “cauchemars à fuir” – selon le mot du programme, écrit par Robin Miranda – cette communauté d’êtres vivants paraît observer ces cieux pour se rassurer quant aux règles, pour s’assurer qu’elles sont bonnes et à suivre. Pour se préparer à effectuer, encore et encore, ces rituels qui les occupent quotidiennement. On apprécie à ce titre que, le temps de son générique de début ou de deux ou trois autres séquences, le film fasse un tout petit peu preuve de lyrisme et de poésie, en offrant des images un peu plus composées : un lyrisme très léger, bien sûr.
Au final, Campo est un documentaire qui offre un accès vivant au territoire – au sens le plus large du mot – qu’il prend pour objet d’étude. Il donne aussi à se questionner sur les techniques à employer, les façons possibles de livrer à un public un tel sujet : en 2019, peut-on user, davantage que ne le fait Tiago Hespanha ici, des techniques modernes, pour offrir un accès encore plus profond à ce monde ? ou alors, faut-il rester le plus sobre possible, et laisser les éléments se rencontrer et créer des chocs ?
Cinéma du réel se poursuit jusqu’au dimanche 24 mars, au Centre Pompidou, au Forum des images et au cinéma Luminor-Hôtel de Ville, à Paris.
Visuels : présentation du film au Forum des images par Tiago Hespanha © Geoffrey Nabavian
/ photo de Campo © Terratreme Filmes