Edouard Louis et Stanislas Nordey ressuscitent le père
A la Colline, Stanislas Nordey porte avec panache et forte conviction les mots accusateurs du roman biographique et pamphlétaire d’Edouard Louis, Qui a tué mon père.
De Stanislas Nordey, on connaît l’engagement infaillible à porter à la scène la parole d’auteurs dramatiques contemporains tels que l’italien Fausto Paravidino, l’allemand Falk Richter, et restituer leur pensée du monde d’aujourd’hui, de ses troubles, de ses failles. Chez le très jeune romancier à succès, Edouard Louis, auréolé de gloire dès son premier roman coup de poing, Pour en finir avec Eddy Bellegueule, le propos est à la fois intime et politique, personnel et universel. C’est ce qui fait sa force sensible.
Seul en scène pendant presque deux heures, seul dans la grisaille d’une campagne uniforme reproduite sur les murs de scène, seul sous la neige qui tombe fine et étale, Nordey porte les mots, les projette, les profère, les articule avec l’énergie et la nécessité de dire et faire entendre, c’est tout son talent. Tantôt fracassante, tantôt simple murmure, cette parole frontale qui secoue et étreint résonne intensément de telle sorte à ce que tout ce qu’elle énonce soit parfaitement audible et consistant.
Au centre du propos : un père. A la fois présent et absent d’un dialogue soliloqué, il est démultiplié et statufié sous différentes positions fuyantes, assis, couché, de dos, le regard détourné ou le visage rentré dans la paume de sa main. Le fils gravite autour, volubile et véhément.
Le père, ouvrier déclassé, n’a jamais été un exemple pour son fils. Mal accepté, mal aimé, notamment à cause de son homosexualité et de son attrait pour les choses intellectuelles, ce dernier considère comme un étranger l’homme rugueux, prisonnier des carcans étroits de ce qu’il croit être la virilité, de sa vaine rébellion contre un système scolaire duquel il a été écarté, de la violence latente qui le ronge, et s’en éloigne plusieurs années durant. Pourtant, ce père devient un modèle aux yeux du fils, le représentant de tous les laissés-pour-compte de la société, méprisés par les dominants décideurs.
Profondément humain, le texte retrace l’enfance et la difficile construction de soi de son auteur dans un environnement géographique et familial obtus et violent. Vindicatif, le texte dénonce sans détour les méfaits des récentes réformes d’austérité sur les hommes qu’elles affaiblissent. Sur tous les tableaux, le spectacle qu’offre Stanislas Nordey est plus que convaincant.