Cinema
Cycle ABCD Honoré au Forum des images : passionnante discussion sur la fabrication de films

Cycle ABCD Honoré au Forum des images : passionnante discussion sur la fabrication de films

05 October 2021 | PAR Geoffrey Nabavian

Titrée “Cristal Stendhal”, la séance du cycle de projections conçu par Christophe Honoré qui portait sur la conception d’un film et ses procédés s’est avérée passionnante. Une heure quarante durant, un long-métrage qui n’existera peut-être jamais s’est trouvé mis en chantier, magnifiquement. Le cycle ABCD Honoré se poursuit jusqu’au 5 décembre au Forum des images, à Paris.

Jusqu’au 5 décembre, les salles de projection du Forum des images, à Paris, sont habitées par la sensibilité artistique du réalisateur français Christophe Honoré, qui propose au public une programmation de films extrêmement divers, avec, comme il l’explique dans le texte de présentation écrit pour l’occasion, “quatre points cardinaux, à la fois guides et horizons : l’Amour, la Bretagne, la Critique, le Désir”. D’où le nom de ce cycle : ABCD Honoré. On peut y croiser aussi bien Jean-Luc Godard, Eric Rohmer, Pedro Almodovar ou David Lynch que Tim Burton, Justin Kurzel, ou les trop rares Danièle Dubroux ou Hal Hartley. Mais aussi Pascale Breton ou Sophie Letourneur, qui surent évoquer la région bretonne dans leurs films.

Au menu des événements spéciaux, on pourra dénombrer la table ronde “Le cinéma de la critique », consacrée à un état des lieux de l’art d’écrire sur les films, une autre table ronde titrée “Très attaché.es », centrée sur le métier d’attaché(e)s de presse, un “cours” à la forme assez étudiée avec Chiara Mastroianni,  ou encore des débats avec Jean-Marc Lalanne, Serge Toubiana, Thierry Jousse… invités à parler à l’issue des projections de films qu’ils critiquèrent à l’époque de leur sortie, dans Les Cahiers du cinéma principalement.

Le réalisateur a d’ores et déjà su se montrer magistral en animant l’un de ces événements spéciaux, samedi 2 octobre : une séance avec pour titre “Cristal Stendhal”, en référence à l’idée de cristallisation, de pensée méditée et se retrouvant progressivement sculptée, décrite par Stendhal, parlant là du sentiment amoureux. “Je suis venu, ce soir, avec une petite idée de film, et nous allons en parler devant vous », a annoncé Christophe Honoré, avant d’entamer une passionnante mise en chantier en direct de ce project.

Devant le public réuni ce soir-là, il commence donc par appeler son producteur, Philippe Martin, qui apparaît sur l’écran derrière lui. Il lui explique son idée de film, en résumant le début dans tous ses détails : ce serait l’histoire, dans les années 60, d’une actrice qui se voit proposer un rôle, et croise ensuite dans un café une femme qui ressemble étrangement au personnage qu’on lui a décrit, avec laquelle elle sympathise et dont elle découvre la vie, peu évidente. Elle ratera finalement son casting, et avouera ensuite qu’elle a envoyé cette “femme du bar” à sa place. L’idée que cette personne est peut-être imaginaire germera, aussi. “Je pense plus au Lynch de Mulholland Drive qu’au Jacques Rivette de Céline et Julie vont en bateau”, ajoute Christophe Honoré.

Sur le plan de l’ambition esthétique, ce serait un film pas léger », explique-t-il ensuite à son producteur. “Veux-tu filmer des lieux intemporels dans Paris, ou créer des lieux imaginaires ?” lui demande Philippe Martin. “Je voudrais donner une grande part à l’imaginaire, pour faire croiser aux deux protagonistes une faune un peu étrange, un peu modianesque ». “La même actrice jouerait-elle les deux femmes, dans ton idée ? », demande Philippe Martin ensuite. “Oui, ça serait un élément important ». Il avoue ensuite qu’il pense à Chiara Mastroianni, qui rentre dans la salle après que Philippe Martin ait raccroché. “J’adore l’idée !” lance-t-elle d’emblée.

Par la suite, elle et Honoré débattront de la scène introductive, longuement : “Alors toi Chiara, quelles sont les remarques, demandes ou attitudes des réalisateurs ou réalisatrices au premier rendez-vous qui peuvent t’énerver ?” Plus tard, il la lancera sur une autre piste : “Est-ce que parfois tu t’es dit : “Il faut que je trouve ce personnage ?” ”  en insistant sur le verbe “trouver”.

Le chef opérateur Rémy Chevrin est ensuite appelé. “On peut matérialiser cette question du double de façon un peu “Méliès”, artisanale, ou avec de plus gros moyens mais alors on pourrait perdre en poésie », explique-t-il, à la demande de Chiara Mastroianni. Suivra un “abécédaire », série d’images apportées par Christophe Honoré afin de donner un aperçu de ses idées pour les différents aspects du film : un procédé auquel il a toujours recours, avoue-t-il, au début de ses tournages. Voyant des teintes sombres sur une photo que le réalisateur présente comme “colorée”, Rémy Chevrin avance en riant un peu : “Tes photos sont toujours très inspirantes, mais il faudrait qu’on se fasse un glossaire de vocabulaire, toi et moi !” Il ajoute : “J’aimerais bien un jour faire la photographie d’un film “Douglas Sirk”, avec énormément de couleurs ».

Puis, devant un autre cliché, Christophe Honoré affirme : “Ca c’est une photo de route de campagne, mais c’est parce que j’aimerais que ce soit un film qui “sorte” de Paris, avec des scènes dans des parcs, donc. Des scènes qu’on tournerait de nuit sans doute, j’écris énormément de scènes de nuit dans mes scénarios ». Puis Rémy Chevrin se concentrera plus en détails sur la technique : “Voudrais-tu que les caméras soient très rapprochées des acteurs, ou qu’il y ait de l’espace dans les plans ? ».

Au final, cette rencontre aura permis au réalisateur de livrer des secrets de travail, de se raconter, de donner à voir ses rapports avec certains de ceux avec lesquels il conçoit souvent ses films, et de rêver en direct à son art, sans oublier de demander à la fin quelques avis aux spectateurs. Une réussite très complète. On souhaite que les événements spéciaux qui suivront, au sein du cycle, soient porteurs du même mélange de vie s’exprimant avec intensité et d’intelligence pas prétentieuse.

Le cycle ABCD Honoré se poursuit jusqu’au 5 décembre dans les salles de projection du Forum des images, à Paris.

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Visuel : © Geoffrey Nabavian

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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