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L’interview confinée de Jacques Vincey : “Je suis très poreux à la situation tragique que vivent certains”

L’interview confinée de Jacques Vincey : “Je suis très poreux à la situation tragique que vivent certains”

17 April 2020 | PAR Julia Wahl

A la rédaction, une idée a surgi dans les boucles de mails : faire parler des artistes, leur demander « comment ça va ? » et comment ils vivent leur confinement, ce que cela provoque en eux. Aujourd’hui, nous interrogeons le metteur en scène Jacques Vincey, à la tête du CDN de Tours depuis 2014, sur cette période particulière, et notamment sur le report du Festival Wet.

Comment ça va ?

Ça va relativement bien. Je ne fais pas partie de ceux qui sont le plus touchés par cette crise, mais je dois dire que je suis très poreux à la situation tragique que vivent beaucoup. Du coup, j’ai encore beaucoup de mal à faire le vide comme le prônent certains. Par exemple, je ne comprends pas qu’on puisse vivre ce que certains appellent « un entracte du théâtre ». Il me semble au contraire que, dans cette période-là, chacun à sa place, on doit faire face au réel, rechercher humblement à inventer de nouveaux usages pour créer de nouveaux liens et préparer ce qui malheureusement est imprévisible.

Avez-vous des exemples concrets de ces nouveaux liens ?

C’est ce qu’on fait avec les comédiens de l’ensemble artistique (le théâtre Olympia a la particularité d’avoir cinq comédiens et comédiennes permanents). Ils sont confinés chez eux et proposent diverses formes, dont certaines sont partagées par d’autres théâtres, comme les lectures téléphoniques. Ce rapport intime d’un comédien avec quelqu’un qu’il ne connaît pas crée une relation particulière. Cela est très modeste, mais c’est l’exemple d’un nouveau rapport. Il y a aussi des rêves de spectateurs qui ont été collectés et scénarisés, qui font l’objet de pastilles.

Il y a également Monuments hystériques [de Vanasay Khamphommala], qui devait être créé le 28 mars, et dont la création est interrompue. Nous proposons aussi de toutes petites pastilles de psychanalyse des personnages. Chacun des acteurs, dans son personnage, appelle son ou sa psychanalyste et réagit. Mine de rien, ne pas pouvoir répéter contraint à des élargissements du travail.

Ont été mises en ligne des captations, dont Nickel de Mathilde Delahaye ; qu’est-ce qui a présidé à ce choix ?

Il se trouve que Mathilde Delahaye est artiste associée, que le spectacle a été créé il y a cinq mois et que,  par son actualité artistique comme son actualité quant au sujet de la pièce [qui se passe en vase clos dans une ancienne usine de nickel], il semblait intéressant de la proposer à des gens qui voudraient la voir ou la revoir.

Vous mettez également en lumière la photographe de plateau Marie Pétry, choix que n’ont pas fait d’autres théâtres. Est-ce que vous pouvez nous parler de la réflexion à l’origine de cette décision ?

La réflexion, c’est que le cœur du théâtre, c’est le plateau, et tout autour il y a des poumons qui permettent de faire vivre tout ça, qui donnent de la résonance au travail artistique. En l’occurrence, Marie Pétry a tout un parcours dans ce théâtre. Elle est arrivée en 2003 au théâtre Olympia pour travailler à la billetterie et n’était jamais allée au théâtre. C’est une découverte qui lui a donné envie de saisir des moments de ce qu’elle voyait. Et, depuis, elle est photographe de plateau. Ce qui est très beau, c’est qu’elle raconte par épisodes son parcours depuis 2003 à partir des photos qu’elle y a prises et elle centre ses films sur la question de l’attachement, en tant qu’artiste, à ce lieu qu’elle accompagne depuis des années. C’est une manière de parler de cette équipe autour des créateurs.

Vous avez dû reporter le festival Wet [festival qui devait avoir lieu fin mars] en octobre ; est-ce que vous pouvez nous présenter ce festival ?

C’est un festival très spécifique, dans la mesure où c’est un festival de jeune création programmé par de jeunes créateurs (de cet ensemble artistique dont je parlais tout à l’heure). C’est cinq actrices et acteurs qui sortent des écoles, qui vont repérer des spectacles et font une programmation de dix spectacles sur trois jours. Du coup, chaque édition est teintée de la sensibilité de ces cinq acteurs présents cette année-là.

Sur le report [du 16 au 18 octobre], c’est vrai qu’il y a eu d’emblée deux paramètres importants. Il y d’abord le paramètre économique. Très rapidement, je me suis positionné en tant que directeur pour dire que tous les contrats seraient honorés, a fortiori pour le Wet où ne sont que de toutes jeunes compagnies. Ensuite, ce festival est un endroit de visibilité. Du coup, ce moment d’exposition, à ce moment-là de leur parcours, je voulais tout faire pour qu’il puisse avoir lieu. Sur les dix compagnies, il y en a neuf pour lesquelles c’était possible et à qui on a proposé de travailler pour octobre.

Pourriez-vous me présenter cette édition du festival ?

Il y a des formats de spectacles très différents, avec par exemple Maryvonne, une petite forme avec une petite économie et très autonome, et Éducation sentimentale, qui est un spectacle de quatre heures avec un très gros plateau. Il y a donc des formats, des registres et des styles très différents. C’est ça, je pense, qui en fait la richesse : il n’y a pas des têtes de gondole et des spectacles annexes.

Souhaiteriez-vous aborder quelque chose que nous n’avons pas encore évoqué ?

J’essaie de préparer ma prochaine création comme metteur en scène à la rentrée, une pièce de Marie NDiaye qui s’appelle Les Serpents. Je lis donc un roman qui est en lien direct, Rosie carpe, qui est un chef d’œuvre et m’a bouleversé, parce que je retrouve exactement l’esprit de la pièce.

Visuel : © Marie Pétry

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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