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Joe Biden et la culture: quels espoirs sont permis ?

Joe Biden et la culture: quels espoirs sont permis ?

21 January 2021 | PAR Lise Ripoche

L’investiture de Joe Biden souffle un vent nouveau sur les Etats-Unis et notamment sur le monde de la culture. Alors que son élection a suscité l’allégresse des artistes, qui ont largement exprimé leur soutien envers le candidat démocrate durant la campagne électorale, il s’agit maintenant de se demander quel rôle sera alloué à la culture dans la politique Biden. Une interrogation légitime et fondamentale alors que le secteur est à l’arrêt depuis le début du Covid 19.

 

L’art comme outil politique: la tradition libérale américaine

Le secteur culturel aux Etats-Unis est calqué sur le modèle libéral, et fonctionne principalement grâce à des fonds privés compte tenu du peu d’aides du gouvernement. Aussi l’art dépend-il largement du mécénat privé, encouragé à investir grâce à d’importants avantages fiscaux. Les arts aux Etats-Unis ont un rôle hautement politique, un “soft power” participant du rayonnement de son modèle, mais il n’existe en retour pas de véritable politique culturelle telle qu’on peut la concevoir. Il n’existe par exemple pas de Ministère de la culture, mais des institutions qui ont été créées selon des contextes historiques. En 1965, alors que le secteur culturel pâtissait de la crise financière, le NEA (National Endowment for the Arts) a été chargé de subventionner les artistes dans tout le pays. Mais son budget, n’ayant cessé de diminuer au fil des ans, n’a en réalité jamais été suffisant; pesant 162 millions en 2019, il équivalait à peu près au budget des affaires culturelles de la ville de Paris. Aussi, il existe dans le rapport des Etats-Unis à la culture un chiasme singulièrement contradictoire: la culture agit pour la politique sans qu’existe de véritable politique pour la culture. Une contradiction que révèlent les chiffres disproportionnés: “alors que le financement public du NEA est très faible, de l’ordre de 1%, le poids économique de la culture est colossal, puisqu’elle représente 877 milliards de dollars (747 milliards d’euros) par an et quelque 5,1 millions d’emplois, aux États-Unis” relève Benoît Grossin pour France Culture

 

Une question absente des débats

Ce constat explique dès lors que le dossier de la culture soit demeurée relativement absente des programmes durant la campagne électorale 2021, autant pour Trump que pour Biden. Pourtant, le secteur culturel et ses acteurs ont plus que jamais participé à l’investiture du Président, en accompagnant la campagne, de l’incitation à s’inscrire sur les listes électorales et à voter, au soutien affiché sur les réseaux jusqu’à la déferlante de réactions de soulagements au moment de son élection. Une telle ferveur paraît démesurée alors même que le sujet de la culture n’a pas été abordé dans la campagne, cruel silence tandis que le secteur subit lourdement les conséquences de la crise sanitaire. Encore une fois, si l’art a joué un rôle décisif dans les élections, la capacité d’enrôlement des artistes que la journaliste Lawrence Cooper nomme la “célébritocratie”, serait à l’image de cette campagne, plus fondamentalement marqué par la négative “contre” que pour la positive “pour”. En effet, Trump n’aura eu de cesse durant son mandat de chercher à supprimer le NEA, fragilisant profondément les institutions culturelles, ainsi que ses nombreuses prises de positions contre la liberté d’expression ont incité les artistes à faire front contre le démantèlement du peu d’aides encore attribuées par le gouvernement. Il faut souligner que l’engagement de Biden pour les arts n’est pas seulement une figure de rhétorique ou une mention de façade. L’espoir qu’il représente pour le secteur culturel s’appuie sur quelques prises de positions fortes en faveur de la culture, comme son soutien à la création du Musée national des arts et de la culture afro-américaines, ainsi que son appui pour le plan de relance économique de 2009.

 

L’espoir Biden: la différence entre le dire et l’agir

“Biden n’est pas un esthète” souligne le New York Times, qui insiste sur le fait que le rapport de Biden à l’art n’est pas celui d’un amateur mais d’un politicien, qui conçoit surtout “les valeurs d’inspirations et de transformations de l’art” selon Robert L. Lynch, président d’ Americans for the Arts. Aussi, si il est permis d’espérer que Biden continue de soutenir l’agence fédérale du NEA, et en élargisse potentiellement le budget, il faut néanmoins comprendre qu’il ne s’agira certainement pas de transformer fondamentalement le rapport que le gouvernement entretient avec le secteur culturel. Selon Arlene Goldbard, spécialiste des politiques culturelles américaines s’exprimant pour La Presse: “J’aimerais me tromper, mais étant donné que Biden a rempli son équipe de transition des arts et des sciences humaines avec des personnes qui profitent du statu quo, je doute qu’il bouleverse beaucoup le monde culturel.”, puis elle poursuit: « L’une des choses que le président Biden peut faire est de reconnaître à quel point le développement culturel est terriblement sous-financé aux États-Unis ».

 

Dès lors, si l’investiture de Biden s’accompagne de déclarations encourageantes, celles-ci ne se prolonge pas encore dans de décisions concrètes, ce qui laisserait à penser que Biden s’inscrirait dans la droite lignée des politiques démocrates, mettant en valeur une certaine élite culturelle et délaissant aux états fédéraux le devoir d’accompagner, soutenir et développer des politiques culturelles plus démocratiques. 

 

 

 

crédit visuel: portrait officiel 2013, domaine public

 

 

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