Théâtre
Welfare : Julie Deliquet sublime le mépris en ouverture du Festival d’Avignon

Welfare : Julie Deliquet sublime le mépris en ouverture du Festival d’Avignon

06 July 2023 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Pour la première fois de son histoire, le Festival accueille en ouverture un texte documentaire. Il s’agit de Welfare, une plongée en quatre actes dans un service d’aide sociale new-Yorkais filmé par Frederick Wiseman en 1973 et adapté sur la belle scène de la Cour d’honneur par Julie Deliquet.

« Ah. »

Le décor est un gymnase prêt à accueillir une compétition de gymnastique. On s’attend à trouver des athlètes venus en découdre pour obtenir un prix, mais le combat est autre. De façon obsédante, répétitive, Julie Deliquet répète une seule scène, teintée des variations, des histoires personnelles de chacun.e. Un homme, une femme, une famille viennent demander de l’aide au service mal nommé de l’aide sociale, et à chaque fois « c’est compliqué ». À chaque fois il faudrait demander à celles et ceux qui souffrent d’être la solution à leur misère. Le procédé se met en place lentement. Il irrite, dérange et gratte. Il ennuie même. C’est vrai, après tout, c’est toujours la même histoire. Et puis, au fil de l’eau, l’injustice devient cannibale, elle nous dévore. Au fur et à mesure, l’idée même de bureau disparaît pour se réduire à la violence du vide de la démence bureaucratique. 

« Ne criez pas madame s’il vous plaît ! »

Les teintes du spectacle sont orangées. Tout concorde, les costumes et la scène qui rapidement se fondent l’un dans l’autre. Il y a des cercles dessinés au sol qui deviennent les histoires en boucle de ces pauvres gens. La différence avec le traitement social de Ken Loach ou la folie administrative de Kafka se trouve dans la dramaturgie qu’emploie Julie Deliquet. C’est très beau, c’est du vrai théâtre, limite bourgeois – certains diraient « gauche caviar » (en même temps, même Jack Lang était là pour cette première). Au contraire, la fonction du spectacle vivant est aussi d’alerter, de réveiller. Ces témoignages datent de cinquante ans et sont d’une cruelle actualité. L’une hurle qu’elle ne peut pas nourrir ses enfants, un flic se prend des assauts racistes de la part d’un demandeur, une autre ne sait plus vraiment où elle habite.

« Il y a une différence entre juste et nécessaire » 

Il est passionnant de voir à quel point le théâtre documentaire est devenu un genre pluriel. Il y a les témoignages sensibles de Mohamed El Khatib, les expériences folles de Rimini Protokoll, la vraie gréve de Kepler-452 , Julie Deliquet se place à l’endroit du théâtre, pour dire que le réel dépasse la fiction, comme souvent. Elle fait théâtre de rien, d’un « formulaire » manquant dans un « dossier », ce qui annule une « procédure ». Ces mots minuscules sont des armes pointées vers les demandeurs et demandeuses d’aide. Les comédiens et comédiennes sont tous et toutes absolument merveilleux. À la fin, on réalise que les gentils et les méchants ne le sont pas tant que ça. Que rien ne va pour personne. Même la musique se fabrique avec des débris, et c’est beau. 

Dans un geste élégant qui aura vu, au tout début, les trompettes être effacées devant l’assassinat du jeune Nahel par un policier il y a quelques jours, Julie Deliquet signe un spectacle engagé. Welfare divise la Cour et donne le ton de cette édition que Tiago Rodrigues a placé sous le signe de l’éveil. 

Distribution : 

LES USAGERS (par ordre d’arrivée) :

MME TURNER, demandeuse mère de quatre enfants et enceinte du 5e – Astrid Bayiha
LARRY RIVERA, demandeur en couple avec Elzbieta Zimmerman – Éric Charon
ELZBIETA ZIMMERMAN, demandeuse polonaise en couple avec Larry Rivera
et mère d’un enfant – Aleksandra De Cizancourt
M. HIRSCH, demandeur – Zakariya Gouram
VALERIE JOHNSON, demandeuse – Marie Payen
M. COOPER, demandeur – Vincent Garanger
LENNY FOX, demandeur – Mexianu Medenou
MLLE GASKIN, fille de Mme Gaskin – Nama Keita
MME GASKIN, demandeuse – Évelyne Didi
JOHN SULLIVAN, musicien – Thibault Perriard

LES TRAVAILLEURS (par ordre d’arrivée) : 

JASON HARRIS, sergent – Salif Cissé
SAM ROSS, superviseur – David Seigneur
NOEL GARCIA, employé – Olivier Faliez
ELAINE SILVER, superviseuse –Julie André
ROZ BATES, employée – Agnès Ramy

Jusqu’au 14 juillet à 22 heures. Durée 2h45.

Le film de Frederick Wiseman est projeté au cinéma Utopia le 9 juillet à 14 heures, en présence de Julie Deliquet. 

Visuel : ©Christophe Raynaud de Lage

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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