Théâtre
« Un conte de Noël » au Théâtre Gérard Phillipe : Julie Deliquet envoie valser le décorum de la famille bourgeoise dans une pièce déchirante et shakespearienne

« Un conte de Noël » au Théâtre Gérard Phillipe : Julie Deliquet envoie valser le décorum de la famille bourgeoise dans une pièce déchirante et shakespearienne

23 September 2020 | PAR Loïs Rekiba

Julie Deliquet, la directrice du Théâtre Gérard Phillipe de Saint-Denis, et sa troupe In Vitro, adaptent au théâtre « Un conte de Noël », le film d’Arnaud Desplechin. Une pièce déchirante, aux références shakespeariennes bien trempées, qui dissèque et met à mal avec brio le décorum d’une famille bourgeoise de Roubaix.

Junon et Abel Vuillard forment à Roubaix un vieux couple heureux, et encore profondément amoureux, après tant et tant d’épreuves difficiles que la vie leur a réservées. C’est Noël, et, à cette occasion Junon, alors malade d’un cancer, décide de réunir toute sa famille, composée de trois enfants, pour les fêtes de fin d’année. Les retrouvailles familiales ne seront pas des plus clémentes. Le passé douloureux resurgit alors pour mener à la lente déflagration, sous nos yeux, de tout un décorum familial mis à mal par les prises de parole hautement hypertrophiées de chaque membre de la famille fagocités et rongés par les non-dits, par la haine, et l’amour aussi.

Quel plaisir de voir adapter sur scène le film d’Arnaud Desplechin ! Julie Deliquet privilégie un dispositif de salle bi-frontal avec en son centre un plateau reproduisant l’intérieur de la maison des Vuillard. C’est donc un huit-clos qui sera le haut-lieu de la progressive agonie familiale lors de retrouvailles de fin d’année censées être douces et propice au bonheur. 

Or, il est question de tout sauf de bonheur. Les parents Vuillard, Abel et Junon, distribuent les honneurs parmi les enfants au sein d’une partition familiale bien réglée autour d’un déjeuner de famille qui tourne au cauchemar. “Ce Noël n’est décidément pas une réussite” pensent-ils tout bas. Et pour cause ! Chacun rentre dans la maison familiale pétris de passions rentrées, de non-dits et de trop-dits qui participent à plonger le spectateur dans une ambiance de débandade et de déréglement familial au sein d’un huit clos (la référence sartrienne trouve pleinement sa justification ici) qui tourne parfois aux règlements de compte et aux envolées de paroles -qui résonnent comme des sentences définitives pour renvoyer l’autre à son manque d’humanité- aux tons tragiquement shakespeariens. La nuit de famille se fait nuit des rois au sein de la famille Vuillard. On se rappelle le temps qui passe, on mobilise des affects parfois légers mais pourtant destructeurs. Le passé resurgit, et avec lui ses joies, ses peines et ses rancunes. On rend des comptes à propos des êtres chers qui nous ont déçus par leurs vices, par leurs égoïsmes et leur manque de courage. 

Julie Deliquet restitue l’ambiance du film de Desplechin avec gravité et brio dans une pièce à la déflagration émotionnelle et sensible qui ne laissera personne, mais alors vraiment personne, de marbre. Si le théâtre est bien un jeu, avec Un conte de Noël c’est la vie qui prend la forme d’un jeu scénique bi-frontal constitué d’échanges de paroles familiales à la fois tendres, assassines et pourtant profondément émouvantes tant celles-ci disent quelque chose d’universel sur ce qui unit et désunit parfois, tout le temps, les êtres pourtant issus d’une même famille.

 
 
 
 
 
 
 
 

 

 

 

 

©Visuel:affiche du spectacle 

 

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