Danse
En Atendant, le Festival d’Avignon réactive le monument entre chien et loup d’Anne Teresa de Keersmaeker 

En Atendant, le Festival d’Avignon réactive le monument entre chien et loup d’Anne Teresa de Keersmaeker 

15 July 2023 | PAR Amelie Blaustein Niddam

En atendant, avec un seul t, veut dire « en attendant » en ancien français. Et, comme le Festival d’Avignon avait attendu exactement dix ans pour retrouver Anne Teresa de Keersmaeker, Tiago Rodrigues a décidé de rappeler au public le parcours de ce monument de la danse en présentant en contrepoint de la magnifique création Exit Above une reprise d’une pièce de répertoire, En Atendant, dans son lieu et son horaire de création en 2010, à la tombée du jour, dans le Cloître des Célestins. Sublime.

Archives vivantes

C’est un acte que Tiago Rodrigues souhaite renouveler chaque année. L’idée est de remonter une pièce qui a fortement marqué l’histoire du Festival d’Avignon. Nous sommes en 2010. Anne Teresa est déjà une immense chorégraphe depuis vingt ans, elle vient régulièrement au festival. L’année suivante, en 2011, elle sera l’artiste invitée de l’édition. En atendant se place dans sa quête de l’alliance entre danse et musique. En 2010, c’était la première fois qu’elle invitait la musique médiévale. Elle avait déjà commencé son compagnonnage avec Bach (et Webern) dans Zeitung, et avec les Beatles et leur album blanc dans The Song.

La musique de En Atendant, nous rappelle la feuille de salle de l’époque archivée sur le site du Festival d’Avignon, se nomme « l’ars subtilior ». Une forme musicale polyphonique, sophistiquée, datant de la fin du XIVe siècle, qui s’invente notamment à la cour des papes à Avignon, à l’époque du grand schisme d’Occident, c’est-à-dire quand d’autres papes siégeaient parallèlement à Rome. Cette musique, tout en contrastes, ruptures, superpositions, recoupements et parfois dissonances, est une source de surprise permanente. En ce sens, elle témoigne assez justement d’un temps de crises où les piliers de la société, qu’ils soient politiques ou religieux, furent fortement ébranlés.

Aujourd’hui, la lecture en est une autre. Cette musique est née en pleine peste noire qui, en 1648, a divisé par deux la population européenne. La revoir aujourd’hui résonne gravement avec la covid.

Treize ans plus tard, la distribution est presque la même : Boštjan Anton?i?, Sophia Dinkel, Carlos Garbin, Marie Goudot, Cynthia Loemij, Mark Lorimer, Sandy Williams, Sue-Yeon Youn. S’y ajoutent des musiciens : Michael Schmid (flûte) et l’ensemble Cour et Cœur?: Thomas Baeté (vièle), Bart Coen (flûtes à bec), Lieselot De Wilde ou Annelies Van Gramberen (chant, en alternance).

Tout commence par un souffle, intense et profond, qui va de la gorge jusqu’à la flûte traversière de Michael Schmid. Il est vêtu d’un jean et d’une chemise blanche et il ne semble pas reprendre sa respiration jusqu’à ce que le son arrive et monte. Puis entre la chanteuse qui délivre le chant donnant son nom à la pièce. Elle sera bientôt rejointe par Sophia Dinkel qui commence à poser quelques gestes de torsion et de glissement. Ces mouvements vont être augmentés au fur et à mesure que le groupe se constitue.

Folie mathématique

L’écriture de la pièce s’inscrit à 100 % dans le corpus d’Anne Teresa. On y trouve des spirales époustouflantes (Fase… décidément), des courses qui peuvent être inversées ou latérales, des inversions, des verticalités. Contrairement à l’habitude plus récente qu’elle a prise, les lignes ne sont pas tracées au préalables. Là, comme dans Fase, ce sont les pas des danseurs et danseuses qui résolvent l’équation. Elle donne particulièrement aux deux plus grands piliers de sa compagnie, Boštjan Anton?i? et Marie Goudot, des traversées faites d’amples arrêts.

La connexion entre les interprètes est époustouflante dans des brisures de lignes, des portés à la vie à la mort, des corps déposés au sol, des exclusions de pestiféré, des cous qui se croisent, des courses folles… La musique est rare, les oiseaux prennent le relais. La chorégraphe nous accompagne jusqu’à la nuit tombée, entre chien et loup. En Atendant subjugue par ses scènes dans lesquelles le groupe est relié par les corps des uns et des autres, comme elle le fera en 2022 avec son Forêt au Louvre. C’est le moment de sa carrière où elle cultive les individualités fortes de ses danseurs et danseuses.

Treize ans après, la pièce n’a rien perdu de sa magie, En atendant subjugue dans la relation entre les pas et la musique à l’emphase restreinte et à la montée en puissance extraordinaire.

Par touches, par ses courses suspendues, accidentées par des mouvements qui les poussent en arrière, à se contraindre, la pièce reste d’une richesse chorégraphique intacte.

Visuel : ©Anne Van Aerschot

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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