Théâtre
Le jardin des délices, le chef-d’œuvre de Philippe Quesne au Festival d’Avignon

Le jardin des délices, le chef-d’œuvre de Philippe Quesne au Festival d’Avignon

07 July 2023 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Attention, mise en abyme ! Le scénographe Philippe Quesne est le premier en dix ans à créer pour le lieu mythique qu’est la carrière Boulbon. Il y convoque les fantasmagories du tableau le plus connu de Jérôme Bosh, le jardin des délices. Une pièce magistrale pour un chef-d’œuvre, le plus grand chef-d’œuvre de Quesne à ce jour et, indéniablement, le spectacle le plus sublime depuis le lancement de ce festival d’Avignon 2023.

“Et le fantôme dit “j’aimais bien la vie” ”.

Les fantômes sont si nombreux dans ce lieu. Retrouver Boulbon est un acte qui est extrêmement théâtral. Ce lieu a été révélé, au sens religieux du terme, par Peter Brook en 1985 qui cherchait un lieu pour son Mahâbhârata. Depuis, d’autres fantômes ont habité le lieu : les cercueils d’Israël Galvan, la voix de Jeanne Moreau, les grandes tragédies de Wajdi Mouawad… Savoir cette carrière de pierre fermée depuis la fin de la mandature Hortense Archambault et Vincent Baudriller, pour des raisons financières, était un crève-cœur. Le lieu est au cœur de la pinède, inflammable à haut niveau. C’est une galère à sécuriser, mais Tiago Rodrigues a, malgré tout, pris le risque (merci).

“Les cannibales ont-ils des cimetières ?”

Le spectacle commence en plein jour, à 21h30. Quesne voulait, en hommage direct à Brook, nous placer face à “l’Espace vide”. Nous voici face à “rien”. Le plateau est un demi-cercle en graviers ; le mur du fond est de la pierre retenue par des filets. Au-dessus, il y a des pins et des gendarmes qui craignent que ça ne recommence à bruler. Rapidement, un petit monde surréaliste arrive. L’image est un mash-up pop qui remixe les films des Frères Coen avec ceux de Wes Anderson. Arrive un bus blanc poussé à la main par un groupe de huit personnages aux allures baba-cool. Cheveux longs, lunettes noires et patte d’eph sont de rigueur. Ils et elles entrent dans le silence, enfin, sous le bruit de grillons très sonores. Ensuite, quelqu’un dépose un œuf immense qui pourrait contenir un dinosaure, et puis le groupe commence à s’organiser, à se mettre en place. Entre postures géométriques et club de lecture, nous les contemplons vivre.

“Quel est ton objectif à long terme ?”

Quesne provoque des images qui marqueront le théâtre pour toujours. Il y a cet homme qui traverse la scène comme un funambule sauf qu’il n’y a pas de fil. Il y a cet autre homme qui place partout des échelles qui sont minuscules par rapport à l’immensité de cet autre mur mythique du festival. Il grimpe mais n’arrive nulle part. Il y a cette femme qui pose des questions vitales, il y a ce musicien qui joue du violoncelle comme si c’était une viole de gambe en chantant “Here the deities approve” d’Henri Purcell. La pièce est en quelque sorte une réactivation symbolique de tous les motifs de la peinture de Jérôme Bosh (1503–1515) Ce monument médiéval multiplie les situations improbables et les détails très insolites. Quesne semble vouloir se concentrer sur les morts, sur la partie du triptyque où l’on voit les âmes des damnés qui rôtissent dans les flammes de l’Enfer. Chez Quesne, l’allégorie est plus écologique qu’eschatologique, même si les deux se rejoignent me direz-vous ! C’est la planète qui brule, tellement que le feu ne peut être que numérique. Comme toujours, il réactive également d’autres décors, comme des extraits de son magnifique Fantasmagoria, 100 % virtuel et où les morts gagnaient le combat contre les vivants. Ce jardin des délices marquera l’histoire du festival. Il est un monument de folie, d’esthétique et de performance. Il est réjouissant au plus au point de retrouver dans ce lieu-là ces formes radicales de spectacle vivant qui font terriblement avancer nos regards sur le monde. Merci…

 

Jusqu’au 18/07 puis du 20 au 25/10 – MC93 Bobigny – Festival d’Automne à Paris

Visuel : © Philippe Quesne

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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